samedi 1 juillet 2017

Marxisme Traditionnel et Théorie cyclique des crises


Pensant encore les crises du capitalisme comme l'éternel retour du même, le marxisme traditionnel s’imagine de manière superficielle que sous la forme d'une simple crise de sous-consommation et de surproduction, la crise est toujours un problème de réalisation sur le marché de la valeur (qui contient la survaleur et donc le profit) et non de la production en tant que telle de la valeur.

Quelle est la thèse traditionnelle des marxistes ? Les marxistes rejettent la théorie de la prétendue thèse de l’ "effondrement" du capitalisme sous son propre poids (thèse qui comme le montre Robert Kurz dans son article séminal "La substance du capital" n'a en réalité jamais existé au moment de la 2nd Internationale). Les marxistes pensent le capitalisme simplement sous la forme de crises cycliques de surproduction, il y a surproduction selon eux parce que tout simplement le capitalisme conduit à une distribution inégale de la valeur (on retrouve même cette thèse chez Michel Aglietta et François Chesnais au travers de leur concept de "régime financiarisé d'accumulation" ; David Harvey prend lui aussi appui sur la thèse de Dominique Levy). La spéculation, la dérégulation, la recherche des superprofits, bref la classe bourgeoise prend tout, et donne rien aux travailleurs. La surproduction a donc pour cause une sous-consommation. Telle serait la contradiction capitaliste qui conduit à l’éternelle crise cyclique. Et pour les marxistes ce phénomène cyclique de déséquilibre entre la production et la consommation est invariant, c’est le régime linéaire et constant du capitalisme, à chaque crise cyclique de surproduction, une bonne purge, c'est-à-dire une restructuration et le capitalisme tel le phénix renaît de ses cendres. Le capitalisme pour la gauche et même pour ses ennemis labellisés comme plus "révolutionnaires", serait l’éternel retour du même (déjà à partir de là, à quoi bon faire de la critique de l'économie politique, l'unilatérale construction d'idéologies de légitimation et de mobilisation pourra suffire - cf. l'opéraïsme qui sera une caricature d'idéologie paranoïaque pour militants professionnalisés). Tout cela, on l'a souvent dit, c'est de la théorie pour débat de télé. Le marxisme traditionnel ne peut s'empêcher de la penser la crise comme une crise de réalisation sur le marché de la valeur. 

Bien sûr pour les marxistes traditionnels, le capitalisme doit paupériser de plus en plus de gens, et donc par leur lutte de classe, cette masse mettra fin à cet éternel retour des crises cycliques du capitalisme : la solution, sera une autre répartition de la survaleur, de la valeur, des richesses concrètes, des marchandises et du travail. Bref toujours les formes sociales d’existence du capitalisme…

La démonstration portée par le courant de la "Wertkritik", sur le plan de la théorie de la crise, est très différente et bien plus fondamentale. Gris est l'arbre doré de la vie, et verte est la théorie. « Le capital est lui-même la contradiction en procès, en ce qu’il s’efforce de réduire le temps de travail à un minimum, tandis que d’un autre côté il pose le temps de travail comme la seule mesure et source de la richesse [il faut entendre de valeur, la forme de richesse abstraite historiquement spécifique au seul capitalisme] » (Karl Marx, Grundrisse, tome 2, Editions sociales, 1980, p. 194). Les gens deviennent superflus lorsque le travail devient finalement superflu. Ce n’est pas la lutte du prolétariat qui mettra fin automatiquement à un capitalisme condamné à d’éternelle crises de surproduction dont il arriverait toujours à se sauver et à redémarrer de plus belle, le prolétariat a déjà bien à faire pour survivre dans sa lutte pour se reproduire à l'intérieur de ce bas monde. Et cette lutte des classes est quotidienne, féroce, pied à pied et "droit contre droit" (Marx), il n'est point besoin d'y projeter une nouvelle métaphysique. Le cadre général d'une perspective est celui qui reconnaît comme « inévitable qu’un contre-mouvement social reconstitué apparaisse dans un premier temps comme traitement immanent des contradictions » (Vies et mort du capitalisme, p. 154 – il faut donc entendre un traitement à l’intérieur des catégories capitalistes non mise en question pour l’instant). Il s'agit ensuite de distinguer à l’intérieur de ce contre-mouvement de traitement immanent, deux formes, et c'est là le trou noir de l'écart : « des formes de ‘‘traitement des contradictions’’ qui font aller de l’avant et celles qui sont affirmatives de l’existant » (Kurz, Vies et mort du capitalisme, page 155). Les premières se fondent sur des appropriations sociales directes, et au travers de leur inscription dans une communisation des rapports sociaux constituant immédiatement une nouvelle forme de synthèse sociale, elles « peuvent ouvrir la voie à la négation de ce terrorisme de la finançabilité et approcher de l’abolition de la forme-valeur et de la forme-argent ». 

C'est le capitalisme qui autrement s’autodétruit déjà, et par son propre développement il met fin lui-même à sa propre existence, parce qu'il ne peut exister en dehors de son fonctionnement interne auto-contradictoire : il jette hors de lui, ce qui constitue sa propre substance (le travail vivant), autrement dit il scie la branche sur lequel il est assis. Cela n'est en rien une prophétie, c'est plutôt déjà le quotidien logique du capitalisme depuis même son origine historique, qui ne fait que monter en surface depuis la troisième révolution industrielle. Ne pouvant se survivre au travers d'un régime d'accumulation auto-entretenu par exploitation du travail vivant, structurellement le rapport entre le capital en fonction et le capital fictif s'est inversé à partir des années 1980, et ce sont les politiques néolibérales qui ont installé l'accumulation primitive de l'actuel nouveau régime d'accumulation par anticipation de production de valeur et survaleur future (ce que Lohoff et Trenkle appellent le "capitalisme inversé", où l'industrie financière est devenue le principal mécanisme de soutènement du capitalisme). Un néo-régime qui fait face lui-même à sa propre borne logique. Cette situation de "collapse" multidimentionnel (car au niveau de la totalité, le système-monde capitaliste fait face à une triple borne : la borne interne à la production de survaleur ; la borne externe écologique et la borne logique à la multiplication du capital fictif, et il faudrait aussi évoquer la pulsion de mort du sujet moderne en crise) ne constitue en rien une forme d'émancipation qui puisse pousser au quiétisme, c'est tout le contraire. Parce que cette société autophage travaillée par l'auto-contradiction interne décrite par Marx dans les Grundrisse ou dans le Livre III, ne débouche, et ne peut que déboucher, que sur la barbarisation en extension et en profondeur des rapports sociaux modernes.

Révolution ou barbarie. Ce n'est pas d'orbite de planète qu'il faut changer, il faut changer de monde social en passant par le trou noir.

(Avec l'aimable autorisation de Clément Homs) 
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