mercredi 19 février 2014

Divine Comédie




lundi - diurne
La culture humaine - nous entendons tout ce par quoi la vie du sujet s’est élevée au dessus des conditions animales -  présente  à l’observateur deux faces :
- d’une part, tout le savoir et le pouvoir qu’ont acquis les hommes, en vue de maîtriser les forces de la nature  et de conquérir sur elle des biens susceptibles de satisfaire leurs besoins .
- d’autre part  toutes les dispositions nécessaires pour régler les rapports des hommes entre eux (en particulier la répartition des biens accessibles) et contrôler l’expression de leurs désirs.
Ces deux orientations sont enchevêtrées l’une à l’autre comme deux pôles opposés d’un aimant :
- les rapports mutuels des êtres sont influencés par la mesure de satisfaction des besoins et pulsions que permettent les richesses présentes.
- chaque individu au sens du sujet est virtuellement un ennemi désirant de l’autre et les rapports qu’il construit avec ses pairs dans la culture lui sont à la fois difficulté et nécessité, guerre et plaisir.
Ce que d’aucuns appellent l’aliénation, n’est rien d’autre que le rapport entre deux êtres médiatisé par une relation de propriété : celle de la capacité de travail et/ou celle de l’objet sexuel.

lundi - nocturne
Au milieu du chemin de notre vie
je me trouvai par une selve obscure
et vis perdue la droitière voie.
Ha, comme à la décrire est dure chose
cette forêt sauvage et âpre et forte
qui en pensant renouvelle ma peur !
Amère est tant que mort n’est guère plus
mais pour  traiter du bien que j’y trouvai
telles choses dirai que j’ y ai vues.
(Dante Alighieri (1265 - 1321)
La divine Comédie : L’enfer : chant 1)

Mardi - diurne
De tous les mythes qui ont lancé l’homme à la conquête du monde, aux risques de la perdition, il en est un qui traverse toute l’  histoire de l’occident comme un fil rouge : depuis l’origine des trois grands monothéismes (puis leurs erzats) jusqu’au dernier état de la science occidentale.
“La création est pour l’homme”  nous dit la bible et les raclures scientifiques  nobélisées de l’appel d’Heidelberg le répètent en termes équivalents : “la nature est faite pour servir l’homme”. Comble de l’anthropocentrisme : ceux qui n’ont jamais eu de proie, l’ont lâchée pour son image.
 C’est aspirer à une essence divine que de croire que la raison est toute puissante. Le sujet , tension entre deux forces contraires, doit tendre à se réaliser dans la globalité des conduites, mais doit reconnaître à jamais son incomplétude. Il n’y aura jamais maitrise de la nature.  Il y a lutte des classes toujours.

mardi -  nuit
Déjà étions en lieu d’où l’on oyait l’eau
retentir qui choit dans l’autre cercle
d’un bruit pareil au grondement des ruches
quand d’un seul coup trois ombres s’échappèrent,
courantes, d’un troupeau qui cheminait
dessous la pluie de l’âpre et lent martyre.
Elles venaient vers nous, criant chacune :
“ attends, ô toi qui au vêtir nous sembles
fils de notre cité la contrefaite ! “
(Dante Alighieri (1265 - 1321)
La divine Comédie : L’enfer : chant XVI)

mercredi - diurne
Le vrai sujet est l’homme dans son existence sensible et concrète. Il devient réifié quand au nom du progrès il devient  l’attribut d’une abstraction qu’il a posé lui-même, mais qu’il ne reconnaît plus comme telle . Le travail de l’homme n’a pas de but en soi, mais sert exclusivement à lui faire atteindre ce que lui même a créé et qui bien que conçu seulement comme un moyen, s’est transformé en une fin.

Mercredi - nocturne
Voici venir la bête à queue aiguë
qui rompt armes et murs, et les monts perce ;
celle par qui est empesté le monde !
... Cette horde image et enseigne de fraude
s’en vint hissant sur la berge sa tête
et son poitrail, mais n’y traîna la queue.
Elle avait face d’homme - et d’homme juste,
tant bénigne semblait à fleur de peau -
et d’un serpent eut le reste du fût.
(Dante Alighieri (1265 - 1321)
La divine Comédie : L’enfer : chant XVII)

Jeudi - diurne
Le progrès des connaissances à travers l’histoire a peu à peu transformé les êtres en choses et les sujets en objets : ce que le vieux Hegel avait décrit comme devenir de l’ aliénation et que le vieux Marx a développé comme comme phénomène de l’aliénation  ou  fétichisme de la marchandise,  peut aussi s’analyser sous la forme de la réification :   la métamorphose de tout ce qui est, se produit et circule entre les êtres, comme objet rationnel humainement et pratiquement vide de toute essence. Cette illusion fétichiste, dont la fonction consiste à cacher la réalité - le rapport conflictuel de désirs entre les sujets -  est entretenue par le rapport historique qu’entretiennent en se maintenant enchevêtrés, mythe du travail et mythe du progrès social apaisé.

jeudi - nocturne
La grand planté de gens, les plaies étranges,
avaient mes yeux d’un tel mal enivrés
qu’ils ne béaient qu’à pleurer désormais.
“ Que vas-tu donc guettant ?” me dit Virgile ;
“ pourquoi là-bas s’appuie encore ta vue
parmi les tristes morts déchiquetés ?
Tu n’as pas fait ainsi aux autres bouges :
or pense si tu crois ces gens nombrer
que la vallée, entour a vingt-deux milles.
Et sous nos pieds déja passe la lune :
bref est le temps qui nous reste octroyé,
et moult encor faut voir que tu n’as vu .”
(Dante Alighieri (1265 - 1321)
La divine Comédie : L’enfer : chant  XXIX)

vendredi -diurne
Le rationalisme et le progrès ne sont liés par aucune linéarité. Le mythe d’une civilisation au progrès infini a conduit l’Occident à un dépouillement total de véritable culture critique sur lui-même. La catégorisation historique des conduites humaines sous les vocables d’homo-technicus, d’homo-oeconomicus, puis d’homo-scientificus, n’a jamais pu empêcher l’apparition de l’homo-urbanus, de l’homo-corruptus, puis de l’homo-démiurgus. Alain De Lille théologien du haut moyen-âge le dit, huit siècle avant le vieux Marx: “ce n’est pas César, c’est l’argent qui est tout maintenant et qui va vider  l’homme de sa substance .”

vendredi - nocturne
Quand nous fûmes au fond du puits obscur
sous les pieds du géant très plus  à bas,
et la haute paroi encor mirais-je
une voix me fit : “ Garde à tes pas !
Va, si tu peux sans nous fouler aux pieds,
frères chétifs et têtes accablées.”
Lors vis-je entour, jusque sous mes semelles
reluire un lac qui par par gelée
eut semblance de verre et non d’eau vive.
(Dante Alighieri (1265 - 1321)
La divine Comédie : L’enfer : chant XXXII)

samedi - diurne
La célèbre phrase d’Adam Smith “Faire advenir le règne universel de l’économie” outre qu’elle scelle  comme définitive, l’alliance entre l’esprit marchand et l’esprit scientifique  s’est constituée en fait social absolu, atomisant peu à peu chacun des sujets qui nourrissait ces processus. Aujourd’hui à l’heure de la mondialisation, on arrive à ce paradoxe d’affirmer que “l’homme maîtrise le monde, mais que plus personne ne maîtrise rien “

samedi - nocturne
Si mon sang fut de glace et ma voix floue,
ne le demande point lecteur : c’est chose
qui ne s’écrit, car tout mot serait pauvre.
Je ne mourus, ni vif ne demeurai :
pense par toi, si tu as grain de sens,
quel je devins hors de vie et  de mort.
Là l’empereur du douloureux royaume
saillait hors de la glace à mi-poitrine
Bien mieux à un géant m’égalerais-je
qu’à son bras même aucun géant n’approche ;
tu vois quel et quant le tout doit être
qui à telle partie ait convenance.
Dante Alighieri (1265 - 1321)
La divine Comédie : L’enfer : chant XXXIV)

Dimanche- diurne
Quiconque pressent à travers toute vie réelle, l’existence secrète et intemporelle d’un manque a jamais béant, ressent nécessairement la vie comme une aventure. Il ne s’agit plus de l’analyser ou de la finaliser rationnellement , il s’agit de la vivre et de la créer avec les autres, comme unique et non-reproductible oeuvre d’art. L’oisiveté entendue comme hasard de rencontre et de création personnelle ou interpersonnelle doit aussi se cumuler avec la dérive totale des êtres et du monde. La conscience aigüe d’un monde renouvelé de créations au service d’une émancipation du sujet  véritablement libre, nécessite le renversement permanent de celle-ci. L’oisiveté, la dérive et le hasard ne sont pas des panacées: elles sont simplement la seule et fragile issue d’un monde en implosion.

dimanche - nocturne
Pour bien conter si étranges nouvelles
je dis que devant nous fut une lande
qui de son lit toute plante a bannie.
La forêt de douleur lui fait guirlande,
close à l’entour par le hideux fossé.
Nous retinmes nos pas jouxte l’orée :
Le terrain fut d’épaisse arène et sèche,
non d’autre aspect que la grève libyque
par les pieds de Caton jadis  foulée.
(Dante Alighieri (1265 - 1321)
La divine Comédie : L’enfer : chant XIV

Prisme



rouge positif : L’histoire de l’humanité est une et indivisible: identique et commune à tous. Le monde des humains et son discours est le monde dans sa totalité. Au delà des langues et des cultures, il y a une culture langagière de l’humanité, qui construit la réalité totale du monde.
rouge négatif : (voir explication)

bleu positif : Le langage est un discours sur la réalité : précipité de la culture et de la science. Ces mêmes cultures et sciences enchevêtrées produisent de la pratique, qui modifient la réalité. Ad lib. 
Ce qui se ressemble dans les discours, ce qui s’y répète, est la langue totale de l’humanité. 
L ‘idée du monde est l’idée des hommes sur le monde.

bleu négatif : Toute construction langagière  comporte sa face cachée,  part manquante du monde dans sa totalité. Renverser l’idéologie du monde c’est renverser le langage qui l’exprime. Retrouver l’idée totale du monde c’est s’emparer dans  sa totalité du renversement langagier.

jaune positif : Tout ce qui est directement vécu dans la réalité est le même pour tous. Qui a dit que l’idéologie actuelle du monde est son idée ?

jaune négatif : En même temps que l’historicisme, le scientisme a distingué et séparé la réalité du monde en langages spécialisés. De l’hypertrophie à la catégorisation
du logos sur la réalité. L’idée totale du monde consiste elle à ne rien séparer. D’où son idée.

noir : Dans les mondes séparés de l’idéologie, le langage a falsifié la réalité  du monde : la lutte des classes partout et toujours.

Blanc : Dans les mondes séparés de l’éros, la science a falsifié la réalité du monde : celle du principe de plaisir partout et toujours.






lundi 17 février 2014

A popos de la nuit des signes.

Hantés par la dernière guerre dont on nous a parlé, sidérés par celle non déclarée qui ravage notre présent, réifiés dans la pensée par l'abîme de la guerre totale et permanente, partout on ne décèle que médiocrité, bêtise et obscurantisme.
La science n'éclaire plus : elle aveugle.
La littérature ne fait plus naître le désir : elle ennuie.
Il nous faut nous diriger vers une opposition épistémologique et conceptuelle radicales, à la à l'atomisation, à la catégorisation. Car la catégorisation des concepts, des méthodes, mais aussi celles de l'écriture (en tant que production contextualisées de sens) n'a fait que catégoriser la nature, pensée dès lors comme un agrégat d'objet-marchandises. L'homme est devenu objet de lui-même, dans un processus dont la logique lui échappe.
La logique du logos est d'ordonner, celle de la catégorisation est devenue un mode de contrôle et d'auto-contrôle, de répression et d'auto-répression mais surtout  - et plus grave - un aveuglement devant le dévoilement de l'altérité et des possibles altérations du monde vécu.
Où sont les ressorts invisibles des tragédies grècques ?
Où circule la part manquante de la poésie romantique ?
Ou sont les correspondances auxquelles aspiraient les symbolistes ?
Pourquoi la beauté convulsive des surréalistes  est-elle si dramatiquement  dévoyée par la technologie numérique ?
Il nous faut retrouver cette sagesse qui consiste à considérer que tout savoir ne peut contenir le tout.
Il nous faut retrouver cette vigueur, qui en partant du manque cherche à métaboliser par l'imaginaire, les points aveugles de notre conscience/inconscience.
Il nous faut inventer une géographie des affects, avec des sextants et des compas que nous jetterons dès les premières terres désirantes conquises. Qu' importe les outils perdus, le logos sait les reproduire.
Nous pouvons disposer du temps non aliéné comme une permanence de rencontres fortuites avec l'imaginaire de l'Autre, "ce scribouillard-lecteur, hypocrite semblable, mon frère"
Alors nous pourrons jouir de la bibliothèque idéale...
Celle qui fera de la lecture une boucle spiralaire ascendante/descendante, transcendant les genres littéraires et bousculant la raison si bien ordonnée de la science instrumentalisée.






Point de vue de l’Aranea

    Ils avaient cherché refuge dans ces pierres ancestrales, accumulées les unes sur les autres depuis longtemps, et soudées par la magie d’...