lundi 26 février 2024

Point de vue de l’Aranea

 

 

Ils avaient cherché refuge dans ces pierres ancestrales, accumulées les unes sur les autres depuis longtemps, et soudées par la magie d’un sablon argileux, où je parcourais des univers fabuleux. J’étais là immobile, sur la paroi verticale d’une pierre d’ardoise brûlante, happant chaque rayon de la lumière solaire nécessaire au tissage de ma toile. Ils m’ont sorti de mon sommeil besogneux, quand j’ai entendu la porte de bois grincer, là-bas au bout de ce long couloir, haut de plafond, où l’escalier de chêne en colimaçon constituait la babel du peuple Araneaen.

Les antennes dressées, abdomen souple sur milles pattes prêtes à défier la gravité, si la loide la prédation l’exigeait. Je les ai observés sans qu’ils me repèrent. Ils se sont assis au bout de la lourde table en bois, où la nuit nous sommes toutes en guerre pour le festin des miettes dérisoires. Car depuis toujours il nous fallait bien nous préserver de la vie – et on le pouvait encore mais pour combien de temps ? – puisque la vie des bipèdes qui nous méprisaient, devenait cette folie et ce désespoir de l’inutile matière.

Ils se sont assis tous les trois, et j’ai vu le plus fin d’entre eux décapsuler ces étranges contenants, se déversant en écume blanche au fond des verres, autant que sur le plateau de nos virées nocturnes. J’ai reconnu l’odeur du houblon, qui dans les vapeurs desséchées de la nuit, occasionnaient les plus cruelles guerres entre nous. Leurs vêtements exhalaient la sueur et les poussières synthétiques de plâtre et d’acier surchauffé. Ils éructaient plus qu’ils ne communiquaient entre eux. Je percevais des sons invraisemblables, qui s’enchaînaient en une spirale synonyme de danger définitif pour le peuple Aranéen.

 

«  - Placoplâtre de 8 ? - Non de 10 avec isolation thermique. Tu les fixes sur tasseaux. Mais avant tu piques ton mur et tu le fixes avec de la chaux vive, tu vois ? - Moi j’s’rai toi, je laisserai le mur nu. Et tu ponces les poutres, c’est tout ! - Il te reste un bière ?»

 

A entendre leurs borborygmes, il me semblait que tout se défaisait, tout s'éloignait de moi, par un impitoyable glissement de non sens. Je ne savais pas les mouvements qui eussent pu les alerter ou les retenir. Autant que les sauver. Mais je commençais à comprendre. A comprendre leur quête futile. Comme toutes celles et ceux qui avaient parcouru cette grande bâtisse depuis son aube. Je découvrais enfin à quoi tenaient les sapiens-sapiens : quelque chose d’inutile, dans un lieu clos sur lui-même. Comme si cela leur était vital, pour qu’ils conservent leur vigueur physique et leur épaisseur charnelle. Il y avait des objets - matière inerte - à quoi ils croyaient tenir, mais ils savaient au fond d’eux-mêmes que ce n'était pas vrai. Ils n’y tenaient pas. Car mêmes leurs livres - fétiches poussiéreux dans lesquels naissent les petits du peuple Araneen – même ces ersatz du bois plein de signes, ne pouvaient les prendre par la main. Cette main ou cette pince qui saisit tendrement le corps, quand la peur vous immobilise. Mais au contraire leurs mains à eux, serraient durement et sans passion les manches d’outils destructeurs, à travers lesquels ils pensaient détenir un accord immémorial, une alliance de l'homme avec la matière. Le minéral, le végétal, même la terre, ils voulaient sans cesse les remodeler, à leur imaginaire désuet. C'était cela à quoi ils tenaient. Transformer ce qui les entourait plutôt que d’oser se transformer eux-mêmes. Plutôt que des voyages et expériences insolites, dangereux, des ambitions vaines d’accumulation et des images éculées, auxquelles ils prétendaient identifier leur destin. Ils ne savaient pas qu’en créant ce qu’ils pensaient un paradis, ils exhumaient leur enfer personnel. C'était leur vie. Ces bipèdes – prétendue espèce supérieure – néanmoins condamnés à l’éphémère, au passage. Ces bipèdes qui ne savaient pas la faute qu'ils expiaient à chaque nouvelle prétention matérialiste. Et qui depuis trop longtemps s'étaient mis en route, sur toutes les routes de Gaïa, à lourdes enjambées résignées, avec le casque e couteau tranchant et les masque, Sans m’en rendre compte je m’étais assoupie sur l’ardoise brûlante ? C’est la violence sonore des coups portés sur la paroi où je parcourais mes voyages insensés, qui m’a fait déguerpir. J’ai dévalé le mur et me suis faufilée dans la brèche du carrelage, menant aux labyrinthes vermoulu de poutres centenaires.


- Vas y au burin ! De toutes façons il faut évacuer toute cette merde de torchis. On va en manger de la poussière. T’as prévu des bières ? »


Je me suis blottie dans un trou de terre mêlée de bois chaud en décomposition. Peu à peu à mesure que je m’enfonçais dans la matière, le silence est revenu. Puis j’ai embarqué dans la mémoire ivre de mes origines et des étoiles. C’est pareil. Depuis plus de 400 millions d'années, nous avions tout connu : de nos origines amphibiques, jusqu’ appendre à ramper, à marcher, à voler. Sans jamais renoncer au mouvement, source de notre avoir incarné dans nos excroissances mandibulaires. Nous n’avions rien. Mais nous savions tout. Ce qui est authentique, ce qui est essentiel. Comme nos ancêtres, nous avions oublié les heures de grelottante nudité. Et pour longtemps encore l’on ignorerait ce qui importe et ce qui n'importe pas. Le peuple aranaen ne changera pas un mot au vomissement sorti de dessous son crâne Avec les sapiens, tout serait à nouveau caché, couvert, truqué, avec de fausses épaules et des pectoraux rembourrés...

Point de vue du Fennec.

 


Je suis sorti de là. Le poil ébouriffé, les pattes engourdies. J’ai tendu le museau et n’ai senti que la torpeur. Je me suis dressé et d’un saut agile me suis extirpé. Il y avait une masse ocre et d’or. Partout, partout. Silencieuse, et lourde, avec cette densité minérale qui éprouve tous les sens de l’organisme. Avec cette luminosité solaire qui empêche de voir distinctement. Le sable s’écrasait de tout son poids sur les quelques rochers de basalte noir qui sortaient de son ventre. En ces saillies on avait l’impression que le sable s’ouvrait puis se refermait derrière mes pas. Comme ça, sans arrêt. Les rochers semblaient reposer sur une ondulation sans bruit, calmes, immobiles, éternellement. Les plus petits recouverts n’attendaient rien, ne pensaient rien. Les plus massifs effrontés se dressaient hirsutes vers le bleu du ciel, tendus vers l’impossible. C’était anonyme. Le soleil, le ciel, le sable, les rochers. Aucun d’eux n’avait encore de nom. Chez nous, vivants de passage, personne ne s’était levé et n’avait pointé son index pour désigner ce qui était là et serait encore là après le mot. Le monde était déjà complet. Pourtant, il n’avait pas de nom. Tout le monde était aveugle aux noms, car tout le monde voyait la vie. C’est à ce moment là que je les ai vus. Là bas de l’autre côté de la pente inclinée où je me tenais. Masqué par ces quelques arbustes, dont mordre l’écorce vous abreuve de fraîcheur.

Ils étaient deux, affairés et manifestement tendus sur la carcasse métallique de ces choses artificielles et laides qui parcourent notre espace. Le corps de l’un était allongé sous l’objet, tandis que l’autre s’inclinait, tenant au bout de ses membres des objets qui reflétaient une lumière bleue. J’ai compris en voyant les longues traînées qui étrillaient le sable en toute direction, qu’ils faisaient partie de ces bipèdes aux circulations répétées. Toujours dans le même axe. Comme si leurs parallèles se rejoignaient en un point imaginaire. Je me suis approché en sablant sur mes pas. Le poids de mon corps s’enfonçait tendrement dans le sable. Mon pelage à la chromatique du lieu me rendant invisible à leurs yeux. J’avais senti. Mon instinct attiré par l’exhalaison des rebuts de carne. Et surtout de l’eau qu perlait de l’arrière de la carcasse inanimée. Imparable. Accoutumé aux mélodies incompréhensibles de leur chant, j’ai rythmé au velours sable, mon avancée progressive.

- Marco. C’est bon j’ai repéré la fuite . C’est le carter de gaz-oil ! Pas de brèche ouverte, mais il suinte.

- Putain, le passage sur le fesh-fesh à la sortie de Kita. Quand on a entendu un choc violent sous la voiture…

- Attends, passe moi la clé plate de douze et ta lampe frontale. que je regarde mieux

- Antoine, il nous reste encore 290 bornes jusqu’à Nema. Et le dernier bidon d’essence est vide. On n’y arrivera jamais.

- Marco, bordel, vérifie le cric ! J’ai l’impression que la bagnole s’affaisse.

- Non c’est bon. Le cric est sur la plaque. Comment on fait Tonio ?

- A la mode routiers algériens. Découpe moi des morceaux de savon de Marseille. Et imbibe les d’eau. Sors moi les Hollywood qui sont dans la boite à gant. Ça va le faire !!! A Kita on trouvera mieux.

J’ai distinctement vu le plus petit des deux s’incliner avec un objet étrange et laisser un filet d’eau couler sur ses mains, tout en malaxant une pâte ivoire. Comment pouvait-il faire ça ? Laisser couler la vie aussi simplement sans la boire ? Une mare qui s’enfonçait inexorablement dans le sable, la brunissant jusque dans ses exhalaisons de vapeur humide. Il le fallait. Approcher encore plus, gratter et lécher… Le pur instinct. C’est à ce moment là que j’ai vu sa silhouette s’approcher. Il venait de si loin. Sa démarche était chancelante. Vêtu d’un tas de guenilles, la peau du visage ébène brûlée par le soleil, tee-shirt crasseux, pantalon déchiré aux genoux et d’étranges poches de plastique qui entouraient ses pieds, aux plaies apparentes sur les orteils. Quand il fut à la hauteur des deux autres, j’interrompais ma reptation prudente. Plus d’eau, le sable était redevenu or et brûlant.

- Antoine !

- Ouais attend, j’arrive ?

- Salam.

- Salam

- Any problem ?Where do you come from ?

- Do you have a little bit water ?

- Of course ! Have some… Are you alone ? And where do you come from ?

- From Nigeria.

- Nigeria ? But it’s such a long way ?

- I know, i have been walking and hitch-hiking for more than 3 months, now.

- And where are you going ?

- Till La Haye, in Nederland. I know people over there.

- But it’s more than 3000 kms.

- Of course, i know, but i won’t go home any more. I need to survive. I shall walk till the end. I just need water.

Je les ai distinctement vu s’asseoir en arc de cercle comme le font les sapiens sapiens. Celui qui s’était extrait de sous la carapace métallique, se frottait les mains dans le sable et son regard semblait médusé. Ils ont continué à parler longtemps et je voyais à nouveau la vie s’écouler de leur lèvres, à chaque fois qu’ils relevaient la tête en arrière. Ils ont parlé encore puis, se sont tus. Seule la gourde tournait entre leurs mains. Puis le bipède à la peau noire s’est relevé, a noué à sa ceinture un petit jerrican qu’on lui tendait, et il a enlacé les deux autres fermement. Sans se retourner, il a repris sa trace. Ma pupille dilatée fixait celui qui s’éloignait, quand ma langue desséchée lorgnait encore les traces de vie liquide aux pieds des deux autres sidérés par l’audace !. Peu à peu la silhouette de l’homme ébène devint délétère et floue, dilatée par la température du zénith. Je sus que j’allais plutôt le suivre. Lui. Car dans son rythme même, je ressentais la présence retrouvée de l'écorce terrestre. Au ras de laquelle - comme mes semblables- il allait vivre, marcher, se déchirer les extrémités des membres dans la caillasse, s’asseoir, se coucher, dormir à même le roc En conservant avec le sol un contact direct, sans intermédiaire. Une existence animale, brute, collée au sol, cette fraternelle cohabitation avec toutes les bêtes, dans les rangs desquelles certains sapiens sapiens savaient retrouver leur origine. Car dans chaque arrêt, dans l'immobilité retrouvée, la tension physique de l'effort soudainement relâchée, c'était la sensation merveilleuse d’exister simplement. Au moment où traversant la dune qui me permettrait de suivre le marcheur à distance, j’entendis le bruit sonore de la machine roulante qui partait à l’exact opposé. J’étais né là dans cet endroit que les bipèdes appellent désert, mais qui est beau parce qu'il ne ment jamais.


jeudi 15 février 2024

Comment éduquer et penser après Gaza ?

 


 Comment éduquer et penser après Gaza ?

Devant l’innommable, ne jamais se taire !

 

« Une fois que la Raison sait que l’Universel dominant et les proportions qui sont les siennes, sont malades – à proprement parler : atteints de paranoïa et de projection pathologique – alors ce qui se présente précisément comme malade, aberrant, paranoïde et même complètement «fou», au regard des critères de cet ordre dominant, c’est pour la Raison le seul germe de guérison. Comme au Moyen Age, le bouffon à son seigneur, seul le « fou » dit à la domination sa vérité. Dans cette perspective, la tâche du dialecticien serait alors d’amener cette vérité du « fou » à la conscience de la raison qui est en elle, faute de quoi elle risquerait de sombrer dans l’abîme de la maladie où, sans pitié, l’enferme la santé du bon sens des autres. »

 

« Ils font cause commune avec le monde contre eux-mêmes, et le signe le plus parfait de leur aliénation, l’omniprésente marchandise, et leur propre transformation en appendice de tout le système, est pour eux un mirage où ils voient leur lien avec le monde. Les grandes oeuvres d’art et les constructions philosophiques sont restées incomprises non pas du fait de la distance qui les séparait du noyau de l’expérience humaine, mais pour la raison opposée ; cette incompréhension pourrait en effet se révéler n’être qu’une trop grande compréhension : la honte d’avoir sa part dans l’universelle injustice deviendrait écrasante si on se mettait à la comprendre. »

 

« Car le sacrifice que la société attend de chacun est tellement universel qu’il ne se manifeste en fait qu’au niveau de la société en tant que telle et non pas au niveau de l’individu. Elle a en quelque sorte pris à son compte la maladie de tous les individus ; et dans cette maladie, dans la folie accumulée qui est derrière les agissements fascistes et dans leurs innombrables préfigurations ou médiations, le désastre subjectif enfoui dans les profondeurs de l’individu rejoint le désastre objectif qu’on peut voir. Mais ce qui est désespérant, c’est qu’à la maladie de l’homme sain on ne peut pas opposer tout simplement la santé du malade, et qu’en fait l’état de ce dernier ne fait le plus souvent que représenter d’une façon différente le schéma du même désastre. »


 

« Ce qui de nos jours est exigé du penseur, ce n’est rien de moins que d’avoir à se tenir constamment au sein des choses et à l’extérieur des choses : le geste du baron de Münchhausen, qui prétend se tirer lui-même par les cheveux hors du marécage où il est embourbé, tel est maintenant le paradigme de toute connaissance qui veut échapper au dilemme qui ferait d’elle soit une constatation, soit un projet. »

 

« Mais, dès que la pensée répudie son inaliénable distance et tente par mille arguments subtils de prouver combien elle est juste littéralement, elle s’effondre. Si elle sort du champ du virtuel, de l’anticipation à laquelle aucune donnée individuelle ne saurait répondre pleinement, bref, si au lieu de se contenter d’interpréter elle tente de devenir simple affirmation, tout ce qu’elle énoncera sera effectivement faux. Son apologétique, inspirée par l’incertitude et la mauvaise conscience, est immédiatement réfutée par la démonstration de la non-identité qu’elle ne veut reconnaître et qui seule fait d’elle pourtant la pensée. »

 

« Quand les philosophes – auxquels, comme on sait, il n’a jamais été bien facile de se taire – s’engagent dans une discussion, ils devraient parler de façon à avoir toujours tort, mais de telle sorte qu’il apparaisse bien que leur adversaire est dans l’erreur. L’important n’est pas tant d’avoir des connaissances qui soient absolument vraies et irréfutables – ces dernières se réduisent en fin de compte immanquablement à des tautologies – que des connaissances par rapport auxquelles la question de la vérité se juge elle-même. »

 

T..W. Adorno, Minima moralia, Réflexions sur la vie mutilée, traduit de l’allemand par Eliane Kaufholz et Jean-René Ladmiral, Payot, « Critique de la politique », 20

mercredi 19 avril 2023

Mesure de salubrité cognitive !

 

"À l’ère du fascisme, l’individu, en tant que spécimen de l’espèce humaine, a perdu l’autonomie grâce à laquelle il pouvait réaliser le genre humain […], c’est la société qui fait la substance de l’individu […] ; pour la société totalitaire les différences effectives ou imaginaires sont des marques ignominieuses prouvant qu’on n’est pas encore allé assez loin, que quelque chose a encore échappé au mécanisme et n’a pas été déterminé par la totalité (...) " 

"La critique réactionnaire saisit assez souvent ce qu’est le déclin de l’individualité et la crise de la société, mais elle en impute la responsabilité ontologique à l’individu en soi, en ce qu’il est libre (...) , et elle se consolera en se tournant vers le passé (...)"

 "L’esprit du monde non pas à cheval mais sur les ailes d’une fusée sans tête (...)" 

 T. W. Adorno, Minima Moralia : réflexion sur la vie mutilée,  Paris, Payot, 2003.


La Réforme des Retraites en France vous semble une aberration et le silence politique autant que la répression du mouvement social vous inquiète ?

Le réchauffement climatique accéléré et généralisé en tous points de la planète vous angoisse ? Autant que l'inaction politique qui cherche à criminaliser les initiatives citoyennes ?

La multiplication et réitération des conflits armés en tous points du globe et la fausse conscience surmédiatisée du bipolarisme « Bons contre Méchants » vous irrite au plus haut point ?

L'aliénation des sujets intensifiée par l'industrie culturelle de masse, les nov-langues conceptuellement vides du monde cybernétique généralisé, la disparition de la conscience historique au profit d'un présent perpétuel, vous semblent une faillite anthropologique ?

Vous vous sentez de plus en plus étranger à ce monde qui dérive, ce vieux monde qui se meurt, mais tout autant ne percevez pas encore le nouveau monde qui tarde à apparaître. Et dans ce clair-obscur face aux monstres qui surgissent, vous ne pouvez rester les bras croisés..


LISEZ TOTALITAIRE

 

La nouvelle revue (n°20) ! du Collectif ILLUSIO  

Mesure de Salubrité Cognitive

non remboursée par la sécurité sociale, mais qui vous fera le plus grand bien !

 





 

 

mercredi 25 janvier 2023

A propos du dieu argent...


Quelques brefs extraits du remarquable livre

GENEALOGIE DU DIEU ARGENT

publié aux Editions ContreLittérature (Janvier 2023)


Extraits :

" La valeur monétaire d’une chose n’est pas déterminée par le temps de travail qu’elle nécessite, ni par sa rareté, ni par le besoin qu’on a d’elle. Si elle l’est, c’est parce que nous donnons une valeur monétaire à ce temps de travail, à cette rareté, à ce besoin. La valeur monétaire d’une chose n’existe tout simplement pas. Bien sûr, si l’eau devient rare, elle prendra beaucoup de valeur, mais cela ne détermine en rien son prix. C’est nous qui déterminons son prix. Et ce prix va priver tous ceux qui ne peuvent le payer de cette chose vitale. C’est comme ça que la valeur monétaire fausse la réalité. La réalité, ce n’est pas que certains – les riches – ont besoin d’eau. Tout le monde a besoin d’eau. La réalité, ce n’est pas qu’il est légitime que seuls les riches boivent. La réalité, c’est qu’il y a peu d’eau et qu’il faut prendre une décision tous ensemble par rapport à ce fait. L’argent est ce qui nous prive de décision. Sauf les riches bien sûr. L’argent, c’est quand les riches décident. Décident du prix de l’eau et du reste.

(…)

Les riches vivent dans une réalité illusoire, déconnectée de la vraie réalité. Par exemple, s’il manque d’eau, ils croient qu’ils ont légitimement le droit de posséder, d’user et d’abuser de l’eau, parce qu’ils la payent. La réalité humaine générale du manque d’eau n’a aucune légitimité pour eux.

La légitimité est tout entière annexée par la légalité économique. L’essence de l’argent est l’annexion du monde par les riches.

L’économie n’est rien d’autre que le traité de stratégie militaire qui permet aux riches d’annexer à l’argent l’esprit des hommes.

(…)

L’argent a dévalisé le monde de tout, de sorte que le monde est vide, sans intérêt, désenchanté – à moins d’avoir de l’argent. Et quand on a de l’argent, ce n’est pas pour vivre le monde, qui n’est plus rien sinon de façon inessentielle, périphérique, mais pour vivre l’argent, pour participer à la représentation universelle de la richesse. Le riche est celui qui sent non pas qu’il est riche, car il n’est riche de rien, sinon de façon inessentielle, périphérique, mais celui qui sent qu’il représente la richesse.

(…)

C’est seulement après des millénaires de pillage des communautés existantes, c’est-à-dire le plus souvent, des exploiteurs locaux, que les marchands se virent contraints de se saisir eux-mêmes de la sphère de l’exploitation. Et ceci pour une double mais simple raison : ils ont ruiné tous ceux qu’ils pillaient ; le pullulement de leur classe prospère les contraint à une concurrence féroce malgré le développement universel du marché. C’est donc une fois solidement établie la célébrité de l’argent comme ce qui a seul le pouvoir universel de réaliser la pensée des choses, une fois la toute-puissance de l’argent bien assurée, toute-puissance qui consiste uniquement dans la mise en spectacle millénaire et mondiale de sa toute-puissance, que le capitaliste peut se lancer lui-même dans l’exploitation en y introduisant le calcul des coûts de production. Le capitaliste ne peut calculer un coût qu’une fois que l’argent est bien présent comme idée dans toute chose. C’est seulement lorsque presque tout a été transformé en marchandises, en choses qui pensent, que l’exploitation proprement marchande peut débuter.

(…)

La marchandise, que le salarié convoite, est ce qui permet à la richesse de se pavaner. La marchandise est ce qui fait briller un temps la richesse aux yeux de tous les spectateurs ; le temps que s’effectue l’achat. Aussitôt achetée, la marchandise perd son éclat, perd totalement ce qui la faisait briller. Prestigieuse derrière la vitrine, vulgaire dès qu’elle rentre chez le consommateur. Car la richesse s’échappe de la marchandise, l’abandonne à sa trivialité, à l’instant même où la transaction s’effectue. Et c’est évidemment l’argent, la richesse jamais satisfaite parce que totalement abstraite, qui va ensuite permettre de produire de nouvelles marchandises ; c’est la richesse jamais satisfaite qui va pouvoir continuellement être réinjectée dans de nouveaux objets pour les faire briller. Et ainsi de suite.

(…)

Telle est la force corrosive de l’illusion : les riches croient se protéger de la laideur alors que leur laideur transparaît toujours plus aux yeux de tous ; conséquemment, les pauvres du monde entier croient de moins en moins les riches ; moins ils les croient, plus l’alchimie secrète opère ; plus se reforment les peuples en tant que seule force universelle capable de ramener le vrai dans le monde."

 Renseignez-vous ! 


 

mardi 29 décembre 2020

Que faire ? D'abord lire....



 

En bon matérialistes, quelques lectrices et lecteurs avisé(e)s me demandent souvent, d"où je parle ? Je n'ai guère d'autre réponse  - pastichant en cela Guy-Ernest - que de considérer que "les kilomètres de rayonnages industriels d'ouvrages inutiles qui polluent ce monde", nuisent gravement à la santé cognitive.... 

Puisqu'il s'agirait de repenser une théorie critique du capitalisme-patriarcal au XXIe siècle, puisqu'il s'agirait au bout du compte de repenser avec Marx et Freud, au delà de Marx et Freud, voici ci-dessous une modeste bibliographie de démarrage (sans douleur ni cachet d'aspirine) autour de La critique de la valeur-dissociation  (ou en allemand Wert-abspaltungskritik).


A/ Entrée en matière :

1. Le "Manifeste contre le travail" du groupe Krisis (Editions Crise & Critique, 2020).
2. Théorie marxienne et critique du travail, qui constitue l'introduction à "Ne travaillez jamais" d'Alastair Hemmens (Editions Crise & Critique, 2019) : http://www.palim-psao.fr/.../theorie-marxienne-et...
3. L'entretien de Roswitha Scholz avec Clara Navaro Ruiz, "Valeur-dissociation, sexe et crise du capitalisme" : http://www.palim-psao.fr/.../valeur-dissociation-sexe-et...
4. "Le côté obscur du capital. Masculinité et féminité comme pilier de la modernité" par Johannes Vogele : http://www.palim-psao.fr/.../le-cote-obscur-du-capital...
5. Théorie de Marx, crise et dépassement du capitalisme. A propos de la situation de la critique sociale radicale (Entretien avec Robert Kurz) : http://www.palim-psao.fr/article-theorie-de-marx-crise-et...
6. Contre la critique tronquée du capitalisme par Johannes Vogele et Paul Braun : http://www.palim-psao.fr/.../contre-la-critique-tronquee...
7. "Révolution contre le travail ? La critique de la valeur et le dépassement du capitalisme" (Anselm Jappe) : https://www.cairn.info/revue-cites-2014-3-page-103.htm
8. « We Gotta Get Out Of This Place (On doit se barrer d'ici !) » (Entretien avec Anselm Jappe) : http://www.palim-psao.fr/.../on-doit-se-barrer-d-ici...
9. "Quelques points essentiels de la critique de la valeur" (Anselm Jappe), appendice à La Société autophage (La Découverte, 2017).
10. "Une histoire de la critique de la valeur à travers les écrits de Robert Kurz", par Anselm Jappe (dans l'ouvrage coordonné par Eric Martin et Maxime Ouellet, La Tyrannie de la valeur, Editions Ecosociété, 2014).

B/ Si vous avez survécu à cela (c'est très bon signe !), des ouvrages plus développés pour creuser l'élaboration et les prolongements de cette critique.
Découvrir la critique marxienne de l'économie politique :
-  Robert Kurz, L'Effondrement de la modernisation. De l'écroulement du socialisme de caserne à la crise du marché mondial, Albi, Editions Crise & Critique, 2021.
- Anselm Jappe, Les Aventures de la marchandise. Pour une critique de la valeur, Paris, La Découverte, 2017.
- Robert Kurz, Lire Marx. Les textes les plus importants de Karl Marx pour le XXIe siècle commentés par Kurz, Paris, Editions les Balustres, 2013.
- Robert Kurz et Ernst Lohoff, Le Fétiche de la lutte des classes. Thèses pour une démythologisation du marxisme, Albi, Crise & Critique, 2021.
- Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale. Une réinterprétation de la théorie critique de Marx, Paris, Mille et une nuits, 2009 ***.
- Moishe Postone, Critique du fétiche-capital. Le capitalisme, l'antisémitisme et la gauche, Paris, PUF, 2013.
- Robert Kurz, La Substance du capital, Paris, L'Echappée, 2019. ***.
- Abolissons le travail !, revue Jaggernaut, n°3, Albi, Crise & Critique, 2020.

C/ Critique de la forme-sujet moderne et des Lumières bourgeoises :
- Anselm Jappe, La société autophage. Capitalisme, démesure et autodestruction, Paris, La Découverte, 2017.
-  Robert Kurz, Raison sanglante. Essais pour une critique émancipatrice de la modernité et des Lumières bourgeoises, Albi, Crise & Critique, 2021.
- Ernst Lohoff, L'Enchantement du monde. La forme-sujet moderne et sa constitution historique - une ébauche, Albi, Crise & Critique, 2021.
- Anticapitalisme tronqué et populisme transversal, revue Jaggernaut, n°1, Albi, Crise & Critique, 2019.
Guy Debord, le situationnisme et la critique de la valeur-dissociation :
- Anselm Jappe, Guy Debord. Essai, Paris, La Découverte, 2017.
- Anselm Jappe, L'Avant-garde inacceptable. Réflexions sur Guy Debord, Paris, Léo Scheer, 2004.

D/ Découvrir la critique du patriarcat producteur de marchandises :
- Roswitha Scholz, Le Sexe du capitalisme. "Masculinité" et "féminité" comme piliers du patriarcat producteur de marchandises, Albi, Crise & Critique, 2019.
- Roswitha Scholz, Simone de Beauvoir aujourd'hui. Quelques annotations critiques sur une auteure classique du féminisme, Lormont, Bord de l'eau, 2014.
Théorie et analyse de la crise du capitalisme :
-  Robert Kurz, Vies et mort du capitalisme, Paris, Editions Lignes, 2011.
- Ernst Lohoff et Norbert Trenkle, La Grande dévalorisation. Pourquoi la spéculation et la dette de l'Etat ne sont pas les causes de la crise, Fécamp, Post-éditions, 2014.
- Crises, champagne et bain de sang, revue Jaggernaut n°2, Albi, Crise & Critique, 2020.
- De virus illustribus. Crise du coronavirus et épuisement structurel du capitalisme, par Anselm Jappe, Sandrine Aumercier, Clément Homs et Gabriel Zacarias, Albi, Crise & Critique, 2020.
- Fabio Pitta, Le Brésil et sa crise au XXIe siècle. Bulle des matières premières, capital fictif et critique de la valeur-dissociation, Albi, Crise & Critique, 2021.

(Avec l'aimable autorisation des Camarades de la revue Jaggernaut)

En bonus une petite illustration sonore :

https://soundcloud.com/user-971673336/critique-de-la-valeur-reelle-de-la-litterature

 



dimanche 1 novembre 2020

Le retour du Jeune Hegel...

En guise de réponse " Au manifeste des 100 universitaires français " paru le Dimanche 1r Novembre 2020,  et qui traduit assez bien l'état déplorable de "la philosophie de la misère" . Un détournement du Jeune Hegel, cité dans "Introduction à la lecture de Hegel," d'Alexandre Kojève, (Gallimard, 1947)

1806 : Premier discours de Hegel, Conférences de Iéna de 1806, allocution finale.

« Messieurs,  

Nous sommes situés dans une époque importante, dans une fermentation, où l'Esprit a fait un bond en avant, a dépassé sa forme concrète antérieure et en acquiert une nouvelle. Toute la masse des idées et des concepts qui ont eu cours jusqu'ici, les liens mêmes du monde, sont dissous et s'effondrent en eux-mêmes comme une vision de rêve. Il se prépare une nouvelle sortie de l'Esprit c'est la philosophie qui doit en premier lieu saluer son apparition etla reconnaître, tandis que d'autres, dans une résistance impuissante, restent collés au passé, et la plupart constituent inconsciemment la masse de son apparition. Mais la philosophie, en le reconnaissant comme ce qui est éternel, doit lui présenter des hommages ». 

 

2020 : Hegel de retour.

« Messieurs,  

Nous sommes situés dans une époque importante, dans une fermentation, où l'Esprit a fait un bond « EN ARRIERE », a dépassé sa forme concrète « UNIVERSELLE » et « RETOURNE AU SINGULIER ». Toute la masse des idées et des concepts qui ont eu cours jusqu'ici, les liens mêmes du monde, sont dissous et s'effondrent en eux-mêmes comme une vision de « CAUCHEMARD » . Il se prépare une nouvelle « REGRESSION » de l'Esprit et c'est la philosophie qui doit en premier lieu « COMBATTRE » son apparition et la « DECONSTRUIRE », tandis que d'autres, dans une résistance impuissante, restent collés au passé, et la plupart constituent inconsciemment la masse de son apparition. Mais la philosophie, en le reconnaissant comme ce qui est éternel, doit lui présenter « DE NOUVELLES ARMES ».

 


 

 

mercredi 28 octobre 2020

Manifeste pour une poétique du dépassement

 

Introït 

 

Le langage de la société civile, de tant de citoyens1, c’est celui de :

 

 (confiner / déconfiner)…

   

Le langage du théoricien, c’est celui de la théorie.

 

 L’optimisme des morts, c’est celui du vivant. 

 

 Et les mots que l’on possède ne possèdent jamais rien.... 

__________________________________________

 

1 Que les esclaves romains fussent les esclaves de l’empire de Rome, c’est une chose. Que les “ esclaves-citoyens ” soient esclaves de l’empire qu’a sur eux le salariat et la bonne conscience du salariat (leur rapport ou socialisme paisible), en est une autre. Cependant, le citoyen dont nous parlons n’est réellement ni un esclave ni un citoyen, mais un domestique. Petite différence, certes. Mais il nous plaît ici de nous prendre pour Aristarque, et de faire apprécier benoitement la différence qui existe entre esclave et domestique.

 

L’esclave, comme vous le savez — puisque vous avez tous lu Hegel — , reste, malgré tout, maître, tant théoriquement que pratiquement, de sa position d’esclave (debout, assis, couché). L’esclave savait ce qu’il n’était pas : un être humain libre. L’esclave pouvait haïr ses maîtres, se détourner d’eux (au moins en théorie), et même essayer de prendre leurs places (au moins en pratique). L’esclave ne maniait jamais la science de la servilité. Il était seulement esclave des princes. Il voulait vivre le pauvre bougre: “ Aux armes etc... ”

 

En revanche, le domestique est au service “ pur et parfait ” de ses maîtres. Il lave, repasse leurs draps, fait leurs lits et s’y glisse même, (se confine / se déconfine), etc. Il admire la moindre action de ses maîtres, accomplit la moindre prophétie de ceux-ci ; il leur est dévoué corps et âme. Aucun acte, aucune parole, aucune humiliation ne sauraient le blesser réellement. Non, rien ne saurait échapper au domestique et au théoricien de la servilité pour contenter leurs maîtres et leurs nombreux petits congénères.

 

L’esclave, comme vous le savez — puisque vous avez tous lu sur l’histoire de Rome — , était l’homme des empires anciens. Cet homme, tant en théorie qu’en pratique, pouvait s’affranchir ou être affranchi, devenir un homme, se révolter, devenir plus riche que certains patriciens. Ou, tout aussi bien, accepter la mort. L’esclave romain, par exemple, c’était l’homme qui ne se contente pas de sa cage, l’homme qui ne se contente pas du simple désir des autres, et du “en même temps confinement / déconfinement”.

 

Tandis que le domestique, c’est l’homme de la République libertariste — cette sorte d’homme ou cette sorte de femme qui se contente de la démocratie commerciale, etc., parce que la démocratie commerciale se contente d’eux. Et oui.

Ainsi va le monde, avec ses aristocrates et leurs esclaves, ses propriétaires et leur moyens de destructions (ou pétroleuse) ses bourgeois et leurs domestiques. D’un “ coté ” de l’histoire, les aristocrates-esclaves, de l’autre les bourgeois-domestiques. Les uns viennent de la guerre, les autres du commerce. Mais à époques différentes, moeurs identiques...

Aujourd’hui s’agirait-il seulement de confiner / déconfiner ???

 

 

 

(Avec l'aimable autorisation des Editions Idées au Carré  et du Docteur MU)

 

 



samedi 16 mai 2020

De l’inconscient politique : assumer l'héritage pour discerner ...



Au-delà de sa contribution au savoir (théorique et médical) sur l’être humain, S. Freud a pris des positions politiques très affirmées lors des deux derniers conflits  mondiaux, que ce soit seul ou dans des textes à 4 mains avec Romain Rolland ou  Albert Einstein. Aujourd’hui dans les circonstances d'une pandémie mondiale qui nous assigne à éprouver en chair et en acte  les limites de ce que nous pensions comme le stade suprême de  la liberté de mouvement et de conscience, l'héritage se réclamant d'un tel auteur - si exigent sur le plan épistémologique - nous invite  à reprendre un certains nombre de concepts (qui avant de devenir des poncifs de la psychosociologie instrumentalisée) on eu le mérite d'être construits dans un modèle théorique, dont la visée était avant tout (et le reste aujourd'hui) celle dévoilement de processus aveugles au sujets qui composent un corps social.



Le premier de ces concepts est celui du déni : « déni incontestable » de la réalité de la part des responsables politiques, quelle que soit leur obédience politique à l’échelle du globe. Le virus n’est pas responsable.  Il a contaminé la planète sans états d’âme et sans faire de distinction. L’Homme d’Etat lui a laissé la place libre : il était prévenu du danger, il n’a pourtant rien prévu. C’est une vraie tâche aveugle au sens freudien du terme, qui cache le désir inconscient. De multiples alertes avaient annoncé la pandémie : la contagion d’Ebola, puis de ESB, du SRAS, des grippes aviaires et porcines. Elle a servi de scénario à des films, des livres de science-fiction. Des centaines d’articles scientifiques l’avaient prévu. Ce déni qui procède de l’inconscient cache bien à propos un désir de faire souffrir, de marquer la distance entre le citoyen et l’Homme d’Etat. La question se pose et la réponse se lit à la lueur du résultat : c’est une inadaptation de plus en plus grande du système de santé. Les personnels soignants ont exprimé avec force leur souffrance au travail, mais en vain. Depuis plus d’une décennie l’organisation des soins a pâti d’une baisse importante du nombre de lits et du personnel médical. Cette politique était-elle nécessaire pour faire des économies ? Cette excuse ne tient pas, car l’argent nécessaire a toujours été disponible. Et aujourd’hui la Banque Centrale Européenne comme la FED aux Etats-Unis, le distribuent sans hésiter pour aider les grands groupes. La préservation de la vie : la santé, l’éducation, la durée du temps de travail sont comptabilisés comme s’il s’agissait de dépenses. En même temps le vivant est rentabilisé avec les brevets, les médicaments, le secteur privé. Cette financiarisation de la vie est prétexte à un sadisme inconscient. Tout se passe donc comme si ce déni inconscient avait comme objectif le désir de faire souffrir.



Le second concept freudien à mobiliser est celui de l'acte manqué.  A travers son double langage, celui électoraliste des promesses par les mots  (qui selon l'adage  n'engagent que ceux que celles/ceux qui y croient) contredit au quotidien  par des choix politique et stratégiques en actes (au service d'un processus aveugle), l'homme politique post-keynesien - ne pouvant avouer sa totale impuissance - en est rendu à ce stade itératif de l'acte manqué. Aujourd’hui, l’Homme d’Etat - prétendument démocrate et civilisé - donne l’impression d’ajouter à  la violence première du déni, le plaisir de l'acte manqué dans la compassion simulée à l’égard de ses victimes, alors qu’il les a sciemment surexposées au danger. Comble de l'acte manqué,  il jouit de compatir avec eux sans changer de politique. Dès lors la vision de l’histoire selon laquelle le libéralisme cherche le profit sans tenir compte de ceux qui le produisent – voir au détriment de  leur épanouissement donc indirectement par leur souffrance  -  est partagée bien au-delà des marxistes. Elle n’est pas contradictoire avec un point de vue psychanalytique qui considère le sadisme comme le motif inconscient de bien des événements historiques. Cette interprétation psychanalytique du politique avait déjà été envisagée dès les années 1930 par Adorno et Horkheimer et Marcuse. Ce sont bien les travaux critiques de l’Ecole de Francfort qui trouvent peut-être leur démonstration la plus évidente aujourd’hui, dans la dimension de l’inconscient politique à l’œuvre dans la crise du Covid 19.



Point de vue de l’Aranea

    Ils avaient cherché refuge dans ces pierres ancestrales, accumulées les unes sur les autres depuis longtemps, et soudées par la magie d’...