samedi 31 décembre 2016

Le désir triangulaire dans le roman moderne

René Girard, dans son ouvrage consacré au désir triangulaire dans le roman moderne européen, "Mensonges romantiques et vérités romanesques", décrit méticuleusement, de Cervantès à Dostoïevski, les moments-clés de l'alchimie affective du héros romanesque. Qu'est-ce que le désir triangulaire ? Il est le fait, pour l'individu moderne tel qu'il est pris dans des rapports psychologiques et sociaux déterminés, de ne jamais savoir désirer par soi-même, de ne jamais être tendu vers l'objet ou l'être désiré par une libre volonté qui se mouvrait sans référent extérieur, il est le fait, en somme, de désirer une chose, un état, dans la mesure où le comportement d'un tiers admiré, voire idolâtré, c'est-à-dire d'un médiateur, se voit imité, reproduit à l'identique, re-présenté. Or, ce désir triangulaire, observe René Girard, de Cervantès à Dostoïevski, en passant par Flaubert, Stendhal et Proust, se resserre au fil de l'aventure littéraire européenne : autrement dit, la sphère des possibles du médiateur et celle du sujet désirant tendent à se confondre toujours davantage, au point que l'admiration solaire et bienveillante initiale (Don Quichotte) se mue progressivement en haine pure et simple face à un médiateur pourtant secrètement idolâtré (Les frères Karamazov). Voyons cela de plus près.

Don Quichotte désire sauver des jeunes filles en détresse. Dans ce désir, il se réfère sans cesse à son modèle, à son idole, à son maître : Amadis de Gaule, le héros d'un roman de chevalerie. Cette médiation du désir, il l'assume sans cesse, il la revendique même, elle est le guide de sa folie douce qui l'enjoint à combattre des moulins à vent ; pour tout dire, il ne saurait se passer de ce point fixe, de ce soleil tout-puissant qui lui suggère ses discours brillants, ses interprétations farfelues, sa volonté tenace et fière. Une telle sérénité chez Don Quichotte est rendue possible par le fait que la sphère des possibles d'Amadis et la sienne propre ne se rencontrent jamais : étant un être de fiction, confiné dans les livres, qui ne saurait intervenir dans la réalité, Amadis ne risque pas de conquérir à sa place le coeur de sa Dulcinée. Il n'est pas son concurrent direct, nulle haine ne saurait intervenir entre eux. Cette configuration d'un désir triangulaire assumé, on la retrouve dans la relation qui unit Sancho à Don Quichotte. Sancho désire devenir gouverneur de « son » île, celle que Don Quichotte lui a promise. Dans ce désir, il se réfère constamment à la parole de son maître, qui a pour lui une autorité incontestable. Mais cette façon de participer à un délire insensé n'a rien de malsain, elle n'est pas souffrante : Sancho aime sincèrement son maître, il ne prétend pas lui faire de l'ombre ni ne se sent humilié par ses manières altières, parfois méprisantes. Il sait rester "à sa place". Car la distinction de classe fonctionne ici comme étanchéité d'une sphère des possibles à l'égard de l'autre.

Avec le personnage d'Emma Bovary, l'étau se resserre. Emma désire sortir du carcan triste à mourir de son mariage rural, et souhaite partir à la rencontre du grand monde. Un tel désir lui est suggéré par l'intrigue des romans d'amour qu'elle ne se lasse pas de relire, unique fenêtre d'espoir dans cet univers fade, mesquin, bourgeois, et patriarcal, dans lequel elle semble condamnée à pourrir. Or, un tel désir, ici magnifié, se verra transitoirement réalisé lors d'une soirée où la possibilité d'un prince charmant se laisse entrevoir. Mais en vain. Car c'est le poison qui l'attend plutôt. Ici, la médiation est relativement sereine, car c'est encore le roman qui est son vecteur. Mais, dans la mesure où son inscription dans la réalité est davantage possible, possibilité qui vient gâter finalement l'ensemble du vécu d'Emma, elle suppose déjà une concurrence entre les médiatrices (les héroïnes) et la jeune femme follement éprise de joies mondaines. Stendhal avait déjà confirmé un tel étouffement, dans Le Rouge et le Noir.

Julien désire, plus que tout au monde, conquérir la société parisienne, et pour ce faire, il délaissera son seul "vrai amour", Madame de Rênal. Un tel désir a pour figure de concentration une personne, Mathilde de la Mole, "la" femme, ici idéalisée, ou réifiée, qu'il s'agit absolument de "séduire". Mathilde de la Mole est désirée non pas pour elle-même, mais simplement parce que l'ensemble de la société parisienne, masculine, son père, ses prétendants, paraissent la désirer, la valoriser comme femme de goût, belle et intelligente, "femme fatale" en somme, dont la "possession" reviendrait à "posséder" l'ensemble des "biens" désirables du grand monde. Au fond, ce qui est véritablement « aimé » dans ce lien, ce n'est pas la personne concrète de Mathilde, mais bien l'ensemble des rivaux, tout le microcosme parisien masculin, qui se meut autour de cette "étoile" (qui n'est en fait qu'un prétexte). Mais cet « amour » n'est pas conscient, ni admis. Car ici, la sphère des possibles du médiateur recouvre celle du sujet désirant : les idoles se sont transformées en concurrents, ils peuvent "ravir le coeur" de "la belle Mathilde". La médiation se fait alors envie, haine de soi et de l'autre, vanité. Lorsque le médiateur est un égal, ce qui est d'autant plus le cas dans une société qui tend à se démocratiser, la « médiation interne » se substitue à la « médiation externe », solaire et sereine quoique illuminée, d'un Don Quichotte. Le virilisme romantique devient pédanterie glaciale, et non plus fantaisie bouffonne.

Avec Proust, la « médiation interne » s'intensifie. Ce n'est plus la société qui est le médiateur, mais le « milieu ». Ainsi naît le snobisme, à la fin du XIXème siècle, sur fond de déclin désespéré d'une aristocratie à bout de souffle. Swann aime la grande peinture, la musique édifiante, les belles lettres. Il est presque artiste, mais il lui manque cette folie : le dépassement du désir triangulaire. Car, désirant tout cela, ce qu'il désire au fond, c'est l'admission dans le cercle restreint des aristocrates mondains. Madame de Guermantes est le point focal où se laisse représenter au mieux son snobisme : sa relation à elle, obséquieuse et soumise, montre à quel point un homme "digne" et fier est prêt à se rapetisser pour grapiller quelques miettes de mondanités, de prestige social.

Mais la médiation interne est à son paroxysme chez Dostoïevski, dans Les frères Karamazov. Ici, c'est au sein même de la famille que vient se nicher le médiateur. A l'exception d'Alexis, les fils du vieux Karamazov sont hantés par cette figure dont ils désirent passionnément imiter la force, la colère, la haine, sans jamais assumer une telle imitation, tant elle les horrifie. La relation de l'inquisiteur au Christ ressuscité est d'ailleurs du même ordre, un conflit familial : c'est au Nom du Père et de sa haine, de sa soif de pouvoir, que l'inquisiteur sacrifie le Fils redescendu sur terre, et ce au sein d'une imitation qui ne se reconnaît pas, l'inquisiteur se considérant au fond comme un criminel impie.
Dans le cas de la médiation interne, qui est le cas le plus courant dans nos sociétés démocratiques et marchandes, le désir triangulaire a ceci de pervers qu'il est contagieux : le désir imité, celui du médiateur, peut être imaginé au départ par le sujet désirant, à l'arrivée, il sera devenu réel, car la concurrence, l'égalité dans lesquelles sont pris ces deux pôles, auront tôt fait de concrétiser un tel désir. Donnons un exemple. Dans Le Rouge et le Noir, M. de Rênal suppose que Valenod désire employer Julien comme précepteur, et en cela il a d'abord tort. Mais cette imagination, Valenod étant le deuxième homme du village, le pousse à employer effectivement Julien. Or, plus tard, tandis que Julien ne sera plus au service de M. de Rênal, Valenod désirera l'employer à son tour, car il a pris de la valeur, dans la mesure où il a déjà travaillé pour son rival immédiat, haï quoique secrètement adoré. Le désir de Valenod, seulement supposé initialement, est devenu réel : il y a bien contagion, et passage de l'illusion au vrai, en ce qui concerne le désir triangulaire. Tel est donc le fonctionnement du désir dans nos sociétés fétichistes-spectaculaires, auxquelles nous allons maintenant nous intéresser de plus près.

Désir triangulaire et publicité

Les trois pôles envisagés par Girard : sujet désirant, médiateur, et objet désiré, peuvent être, dans une perspective d'extension à la critique marxienne de la valeur, complétés par les trois autres pôles suivants : le travailleur-consommateur, la valeur, et la marchandise. Dans notre cadre, qui est ici une critique radicale de la publicité et des médias qui lui sont associés, il faut entendre par valeur non seulement l'argent ou le travail abstrait, mais aussi et avant tout une communauté abstraite, une somme de personnes représentatives d'un système, un ensemble de gens qui ont « réussi », et dont les caractéristiques rejoignent, de fait, les déterminations de l'argent et du travail abstrait. Il s'avère donc que, dans la publicité de nos sociétés occidentales ou occidentalisées, au sein de cette somme d'images symptomatiques d'un système qui valorise l'apparence des produits du travail en passant sous silence le labeur concret des travailleurs et travailleuses ainsi que leurs souffrances réelles, on retrouve, esthétisée, magnifiée, la triangulation du désir dans tous les moments qui viennent d'être distingués. Elle sera simplement, dans ce contexte "promotionnel", devenue totalement triviale et vulgaire, même si elle n'est pas moins mythologique et délirante. Un fond patriarcal diffus, qui confirme un économicisme fonctionnel, enveloppe cette esthétique de l'occultation. Il s'agit de bien le montrer maintenant.

Dans la publicité pour Nutella, par exemple, la médiation interne est intra-familiale. Un « moment Nutella », outre les sourires niais des enfants et les regards "complices" des parents, c'est avant tout un instant de violence psychique et symbolique inouïe, portée à son paroxysme, à la manière d'un roman de Dostoïevski. L'huile de palme et toutes ses dérives, l'exploitation des travailleurs et travailleuses qui produisent la pâte à tartiner, toutes ces injustices et horreurs qui se concentrent dans l'illusion d'une « marque », se voient condensées dans la « joie » d'un enfant, à l'intérieur du « bonheur simple » d'une "famille" standardisée, à l'intérieur d'une concurrence intra-familiale apparemment « bon enfant ». C'est le cocon le plus intime qui est ici pris en otage, capté, détruit de l'intérieur, par des spécialistes en neuromarketing sans scrupules. L'idéologie qui défend l'exploitation ici, est indissociable de celle qui représente une famille-type, structurellement patriarcale.

La publicité est narcissique. Le milieu des publicitaires l'est, a fortiori, aussi. Ainsi, il existe un autre type de publicité où c'est le snobisme à la Proust qui opère au mieux. Le terme de « hipsters », qui ne désigne plus aucun individu concret ou réel, complexe, forgé à nouveaux frais donc, comme type-standard de personnalité, définit assez bien le microcosme que certaines campagnes publicitaires tentent de mettre en avant, afin de créer un monde à l'image des publicitaires. Les hipsters écouteraient de l'electro, feraient du « clavier », travailleraient dans la publicité, l'édition, le graphisme, le cinéma, la mode, ou dans les milieux de l'art contemporain. Ils seront « in » (ils n'emploient donc pas ce mot), « artistes », n'auront aucune conscience politique, et resteront au sein d'un entre-soi nauséabond. Les publicités qui illustrent parfaitement le snobisme publicitaire sont les publicités pour Apple : de belles images de grandes métropoles où l'urbain branché, blanc de préférence, montre son aisance et sa fascination face à la machine high-tech. Bien sûr, ne sont pas stipulées ici les conditions proprement atroces dans lesquelles sont assemblées les machines, ni le prix exorbitant des appareils, qui incitent les esclaves des temps modernes à s'endetter ou à emprunter au prix d'un stress et d'un inconfort continuels. Ce snobisme-là, esthète comme il se doit, se paye dans le sang et les larmes.

La "femme fatale" qu'il faut à tout prix séduire, cette Mathilde de la Mole figurée, fantasmée, de la modernité tardive, on la retrouve dans les publicités pour le café. « L'Homme », viril et racé, boit son café, intense et corsé, et c'est « la Femme » qui apparaît, envoûtée, conquise, prête à se jeter dans ses bras (ce qu'elle fait effectivement, la plupart du temps). Toute la société désire cette femme, mais c'est lui qui la "possède", parce qu'il a eu la bonne idée de choisir la bonne marque de café. Les rivaux, autres buveurs de café, ceux que l'on désire de fait sans jamais l'admettre, sont éloignés. La concurrence entre les marques rejoint la concurrence amoureuse, définie de façon machiste et patriarcale, dans un procès vertigineux. Ces suggestions d'une bêtise abyssale passent bien sûr sous silence les conditions réelles de production du café. Elles occultent également le fait qu'une telle substance, drogue du travailleur pressé de nos sociétés fétichistes, est aussi vecteur de destruction lente de nos vécus concrets.

Les publicités pour le parfum féminin, de leur côté, renouvellent un bovarysme effrayant. Cette héroïne de romans d'amour qui a tant fasciné Emma, on la retrouve, transfigurée, à l'odeur enchanteresse, au sein d'un cadre urbain magique, parisien, et c'est à elle qu'il faut ressembler, c'est elle qu'il faut imiter : désirable, intégrée, bien dans son corps et dans sa tête... Femme !... - valoriser le « féminin » revenant ici à déprécier ultimement les femmes en chair et en os. Enfin, le Don Quichotte des temps modernes, c'est cet « adulescent » bedonnant qui rêvasse devant sa télévision face à un clip promouvant la marque Axe Apollo. « Rien ne bat un astronaute », tel est le slogan qui vient réveiller l'ethos chevaleresque d'un frustré aigri avant l'âge qui s'en ira dès lors conquérir le monde, combattre les moulins à vent, libérer sa "Dulcinée" réifiée - un prétexte (autrement dit, il deviendra trader ou chef d'entreprise, dans le meilleur des cas).

Mais revenons-en à la littérature. On ne saurait comparer la démarche des auteurs cités plus haut à celle des publicitaires : les premiers dévoilent et dénoncent les mécanismes de la triangulation du désir, les seconds les occultent délibérément, ou les utilisent à des fins cyniques, destructrices, que le récepteur ignore. Quelle est donc la littérature qui correspondrait au projet implicitement présent dans les discours publicitaires ? Assurément, et cela est suggéré par Girard, la littérature romantique et la littérature réaliste.
Le romantisme, d'une part, est une façon de supposer un héros masculin, passionné ou "viril", dont la volonté est absolument close sur elle-même, sans relation à quelque altérité extérieure, il est la valorisation d'un "je" pur dont les passions ne résulteraient nullement, mais dans l'illusion, d'une imitation quelconque (la réification du "féminin", ici, rejoint la réification liée à une exploitation massive et occultée ; l'unité de l'esclavagisme moderne s'affirmant constamment, par-delà les pseudo-différenciations du spectacle de la société marchande). Dès lors, ce "je" pur masculin tait purement et simplement l'existence pourtant universelle et nécessaire du désir triangulaire. Telle est, éminemment, la publicité : romantique, explicitement, cynique, en sous-main.
D'autre part, le réalisme, quant à lui, à travers l'affirmation d'une "scientificité" douteuse, suppose la possibilité d'une observation "objective", d'un narrateur détaché de tout affect, soit une relation entre objet et sujet qui serait directe, non contaminée par quelque médiation. Ici encore, le désir mimétique est passé sous silence. Telle est donc, également, la publicité : réaliste, explicitement, cynique, toujours.
Une façon d'échapper à ce triangle infernal, qui est ainsi, chez le héros romantique ou "réaliste", comme chez l'aliéné de la modernité tardive, une composante essentielle de la personnalité, est peut-être suggérée par la passion stendhalienne. Fabrice del Dongo, dans son amour pour Clélia, ou Clélia plutôt, qui n'est plus essentialisée, tous deux ont quitté tout désir social, tout désir de reconnaissance, et ils ne sont pas non plus romantiques, ou lyriques, ils ne peuvent tout simplement pas « chanter » leur amour. C'est leur mutisme, à travers les barreaux d'une prison, qui évoquera le plus pleinement leur accès à la libération à l'égard de toute forme de joug aliénant. Les amours homosexuelles d'un Proust, de même, évoquent des évasions porteuses...
Quoi qu'il en soit, les publicités sur "nos" écrans, sur les murs des villes et campagnes, restent quotidiennement des insultes subtiles, des moqueries cyniques mais "sympathiques", qui décomposent psychiquement toujours plus les anonymes travailleuses-consommateurs que nous "sommes". Leurs assignations classistes, patriarcales, parfois racistes également, qui sont devenues "drôles", "fun", esthétisées, donnent à la misère un sourire qui ne la rend pas plus "tolérable", mais plus inconsciente finalement, et plus dissociatrice encore. La triangulation de nos désirs, ici, n'a même plus la profondeur ou la dignité de la souffrance d'une Emma Bovary, d'une Mathilde de la Mole, d'un Marcel, d'un Aliocha, ni même la splendeur bouffonne d'un Don Quichotte. Devenue infiniment triviale et laide, constante et décevante, elle devient mille petits coups d'épingles supportés chaque jour, pour que des violences plus graves deviennent ensuite elles-mêmes tolérables, de façon passive ou "collaborative" (fascisme, racisme ou sexisme débridés, austérité sauvage, etc.).

(Avec l'aimable autorisation de Benoit Bohy-Bunel : http://benoitbohybunel.over-blog.com/)
 

mardi 27 décembre 2016

La ville comme opium de la Valeur



« Les grandes choses, il faut les taire ou parler d’elles avec grandeur, 
c’est-à-dire avec cynisme et innocence » (F. Nietzsche, 1885-1886)


Dès 1968, dans son ouvrage « Le droit à la ville » (Paris, Anthropos) Henry Lefebvre, dénonce (au coeur de sa pensée) la mainmise de la valeur d'échange sur la valeur d'usage. Elle s'organise en mettant la ville au service du système de production industrielle et, partant, de la société capitaliste.



Avec l’avènement de la société industrielle et le passage au mode de production capitaliste naît dans la ville une inversion du rapport entre valeur d’usage et valeur d’échange. Le passage au capitalisme et à l’ordre marchand provoque une mutation radicale qui inscrit la ville dans une marchandisation d’elle-même et de la vie quotidienne. La ville capitaliste prend la consommation comme centre de gravité : elle crée des lieux de consommation et devient elle-même une marchandise à consommer. Selon H. Lefebvre, dans la ville du Moyen âge occidental, les marchands et les banquiers s’établissaient autour de la place, du marché, de la halle, pour y promouvoir l’échange et le généraliser, pour étendre le domaine de la valeur d’échange; ce faisant, ils oeuvraient la ville et en faisaient usage. Ils constituaient un agent historique et social qui modelait la ville. Le marchand trouvait dans la ville son point de rencontre, son port d’attache, son lieu de stratégie. Mais la ville va peu à peu permettre la concentration des capitaux et l’accroissement de la productivité. Dans le même temps, l’importance de la production agricole va reculer devant l’importance de la production artisanale et industrielle du marché, de la valeur d’échange, du capitalisme naissant. Les anciennes centralités vont laisser la place à des centres de décision. Les noyaux urbains, anciens lieux de rassemblement et de rencontre, notamment en vue d’y promouvoir des échanges commerciaux, vont devenir eux-mêmes valeur d’échange, produits de consommation, sorte de simulacre authentique en trompe l’oeil où la ville ne sera plus que le spectre d’elle-même...
Avec des gens qui "se ruent vers les ruines des villes anciennes pour les consommer touristiquement en croyant guérir de leur nostalgie..."


dimanche 18 décembre 2016

Depuis les Chants de Maldoror, quel style pour quelle écriture ?

« L’on doit toujours éprouver quelque peine pour ces personnes qu’écrase le char triomphant du progrès...» 
(A. Cahill, membre des services civils en Inde, cité par 
Hannah Arendt, Sur l’impérialisme, Paris, Point Essais 2006 ). 


« Pourquoi depuis des millénaires, les hommes ont-ils passé une telle part de leur temps à inventer des mythes, c’est à dire au fond des histoires qui n’ont ni queue ni tête ? » 

(Claude Lévi Strauss :  Mythologiques, Le Cru et le cuit (T1), Paris, Plon,


« Le roman non poétique est un genre faux, parce qu’il décrit les passions pour elles-mêmes : la conclusion morale est absente. Décrire les passions n’est rien ; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère... » 

(Comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror, 1869)


« C’est plus fort que moi, je m’ordonne. Je rapproche des faits qui furent, mais séparés.  Je crois me souvenir, je m’invente...»  

(Louis Aragon, Les Aventures de Télémaque, Paris NRF-Gallimard, 1922)


« Le mot de Buffon « le style, c’est l’homme » n’a jamais cessé de se vérifier et de gagner en précision. L’absence de style dans un nombre croissant de livres, traduit l’absence de style de vie chez un grand nombre de nos contemporains. 
Il y a aussi ceux qui trichent: ils ont un style qui dissimule l’homme qu’ils sont, mais leur mensonge même les dénonce, comme de beaux parleurs qui ont seulement l’art de duper et de manipuler, et qui se mystifient eux-mêmes. 
Je connais assez Jean-Louis pour dire qu’il vit comme il écrit : de façon échevelée et avec une grande rigueur, avec une exigence aussi paisible qu’insatiable. Il me connait assez pour savoir que l’alliance du chaos et de l’harmonie n’est pas pour me déplaire. » 

 (Raoul Vaneigem, A propos du roman Mamiwata, Bruxelles, 2001)

Jean-Louis LIPPERT : Mamiwata, Mons, Ed Talus d’Approche, 1994, 442 pages
L’éditeur a fait faillite et on ne le trouve plus..., à moins que quelqu’un ne le réédite...

Point de vue de l’Aranea

    Ils avaient cherché refuge dans ces pierres ancestrales, accumulées les unes sur les autres depuis longtemps, et soudées par la magie d’...