samedi 11 avril 2020

Eux et nous...


" Et les plus anonymes et imperceptibles sont des femmes et des hommes (...) à la peau couleur de la terre. Ils ont laissé tout ce qu’ils avaient, même si c’était bien peu, et ils se sont transformés en guerrières, en guerriers. Dans le silence et l’obscurité, ils ont contribué et contribuent, comme personne, à ce que tout cela soit possible. Je parle des insurgé(e)s, mes compañeros.

Ils vont et ils viennent, ils luttent et meurent en silence, sans tapage, sans que personne, si ce n’est nous-mêmes, n’en tienne le compte. Ils n’ont pas de visage ni de vie propres. Leurs noms, leurs histoires ne viendront peut-être à la mémoire de quelqu’un que lorsque bien des calendriers auront été effeuillés. Alors, peut-être qu’autour d’un foyer, tandis que le café bout dans une vieille théière d’étain et que s’allume le feu de la parole, quelqu’un ou quelque chose saluera sa mémoire.


Et de toute façon, ça n’aura pas beaucoup d’importance, parce que ce dont il s’agissait, ce dont il s’agit, ce dont il s’est toujours agi, c’est de contribuer à construire ces paroles par lesquelles commencent les contes, les anecdotes et les histoires, réels ou fictifs, des hommes et des femmes zapatistes/zadiste. Tel qu’a commencé ce qui aujourd’hui est une réalité, c’est-à-dire par un :   il y aura une fois..."

("Eux et nous", Chap VII, Doutes et ombres, Éditions de l'Escargot, Paris, 2013) 

 Rafael Sebastián Guillén Vicente


dimanche 5 avril 2020

Contribution à la critique anthropologique d’une pandémie au XXIè siècle - 2


La société malade de sa raison

 
« Tout le monde est d'une certaine manière occupé et employé comme travailleur à domicile. Un travailleur à domicile d'un genre pourtant très particulier. Car c'est en consommant la marchandise de masse, qu'il accomplit sa tâche, qui consiste à se transformer lui-même en homme de masse (…) Le processus tourne même résolument au paradoxe puisque le travailleur à domicile, au lieu d'être rémunéré pour sa collaboration, doit au contraire lui-même la payer, c'est-à-dire payer les moyens de production dont l'usage fait de lui un homme de masse. Il paie donc pour se vendre. Sa propre servitude, celle-là même qu'il contribue à produire, il doit l'acquérir en l'achetant puisqu'elle est, elle aussi, devenue une marchandise. Le monde comme fantôme et comme matrice »

(Anders (G), L’Obsolescence de l’homme (Vol  1 - 1956) Paris, Encyclopédie de nuisances, 2002, p. 50



« Le malheur est que dans l’état présent de la pensée, tout le monde se laisse encore duper par (…) l’apparence systématique, l’architecture et le style communs de diverses constructions de l’intelligence, appliqués à la philosophie. Comparer ce type de productions consiste alors à ce que personne ne se préoccupe des conséquences réelles, mais seulement de la conformité apparente à des préceptes formels de l’intelligence sans objet. Il faudrait accorder d’abord que l’emploi méthodique des divers outillages logique suffit à repérer la présence de la philosophie essentielle ».  

(Nizan (P), Les chiens de garde, Paris, Maspéro, 1965, p 16)






1

Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de corona virus. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une distanciation sociale, synonyme de mort sociétale.




2

Les épidémies qui se sont détachées de chaque aspect de la vie naturelle - puis peu à peu autonomisées - fusionnent maintenant dans un cours commun, où l'unité de cette vie semble ne plus pouvoir être rétablie. La réalité considérée partiellement, se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo monde à part, objet de la seule compassion médiatisée. La spécialisation des épidémies du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l'épidémie autonomisée, où le mensonger s'est menti à lui-même. Le corona virus en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non vivant.



3

Le corona virus se représente à la fois comme le mal rationnellement  construit par la société, dans la société et pour une partie de la société. Il est l’instrument de la sélection post darwinienne qui ne veut pas dire son nom. En tant que touchant une partie de la société, il est expressément le secteur qui concentre toute la classe dominée. Du fait même que ce secteur est massivement infect, il est le lieu du regard désabusé et de la fausse conscience. Et la pseudo unification médiatique qu'il accomplit n'est rien d'autre que le langage officiel de la ségrégation généralisée de classe.



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Le corona virus n'est pas une pandémie, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par une épidémie.



5

Le corona virus ne peut être seulement compris comme l'abus d'un mode de vie, le produit des techniques associées d’extraction – production - consommation massive des ressources naturelles. Il est bien plutôt une Weltanschauung devenue effective, matériellement traduite. C'est une causalité linéaire du capital rationalisé, qui s'est objectivée.



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Le corona virus compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant. Il n'est pas un accident du monde réel, sa sortie de route inopinée... Il est le coeur de l'irréalisme de la société réelle. Sous toute ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation indirecte de spectacles, le corona virus constitue le modèle présent de la vie socialement dominante. Il est l'affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire. Forme et contenu du corona virus sont identiquement la justification totale des conditions et des fins du système existant. Le corona virus est aussi la présence permanente morbide de cette justification.



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La pratique sociale a laquelle le corona virus autonome s’attaque est aussi la totalité réelle qui contient le corona virus. Mais la scission dans cette totalité la mutile à un  point tel, qu’elle de fait apparaître le corona virus comme son but. Face au corona virus, le langage scientifique et médical marchand - constitué par les signes de la production régnante – devient la finalité dernière d’une production à visée réellement thérapeutique.



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On ne peut opposer abstraitement le corona virus et l'activité sociale effective ; ce dédoublement est lui-même dédoublé. Le corona virus qui inverse le réel est effectivement produit. En même temps la réalité vécue est matériellement envahie par la diffusion du corona virus. La réalité objective est présente des deux côtés. Chaque notion ainsi fixée n'a pour fond que son passage dans l'opposé : la réalité surgit dans le corona virus, et le corona virus est réel. Cette aliénation réciproque est l'essence et le soutien de la société privée de valeur ontologique.



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Considéré selon ses propres termes, le corona virus est l'affirmation de l'apparence et l'affirmation de toute vie humaine, c'est-à-dire sociale, comme simple apparence. Mais la critique qui atteint la vérité du corona virus le découvre comme la négation visible de la vie ; comme une négation de la vie qui est devenue visible.  Le corona virus n'est rien d'autre que le sens de la pratique totale d'une formation économico-sociale, son emploi du temps. C'est le moment historique qui nous contient.



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Le caractère fondamentalement tautologique du corona virus découle du simple fait que ses moyens sont en même temps son but. Il est le soleil qui ne se couche jamais sur l'empire de la passivité moderne. Il recouvre toute la surface du monde et baigne indéfiniment dans sa propre gloire morbide et mortifère.



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Dans le corona virus, épidémie de l'économie régnante, le but n'est rien, le développement est tout. Le corona virus ne veut en venir à rien d'autre qu'à lui-même. Rétablir la question humaine de la valeur contre la question fétichiste de la valeur de l’argent


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En tant que miroir de la vacuité des objets produits maintenant, en tant qu'exposé général de la rationalité devenue folle et en tant que secteur économique totalitaire et unifié, qui produit en chaîne, une multitude croissante d'épidémies, le corona virus est la principale production de la société actuelle. Le corona virus soumet radicalement les hommes vivants dans la mesure où l'économie les a totalement soumis. Il n'est rien que l'économie se développant pour elle-même. Le corona virus est le reflet fidèle de la production automate des choses, et l'objectivation du mensonge des hommes sur eux mêmes.



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Le corona virus est l'héritier de toute la faiblesse du projet philosophique occidental, qui fut une compréhension de l'activité, dominé par la catégorie faussée de la valeur. Aussi bien qu'elle se fonde sur l'incessant déploiement de la rationalité technique et instrumentale au profit et de la plus value financière, aussi bien elle contribue  à la réification définitive de la conscience critique, réflexive et pratique. Le corona virus ne réalise pas la philosophie, il philosophie la réalité. C'est la vie concrète de tous qui s'est dégradée en univers spéculatif et métaphysique.



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La philosophie, en tant que pouvoir de la pensée séparée, et pensée du pouvoir séparé, n'a jamais pu par elle-même dépasser la théologie. Le corona virus est la reconstruction matérielle de l'illusion religieuse. La peur existentielle de la mort a réanimé les nuages religieux où les hommes avaient placé leurs propres pouvoirs détachés d'eux. Ainsi c'est la vie la plus terrestre qui devient opaque, irrespirable et angoissante. Elle ne rejette plus dans le ciel, mais elle héberge chez elle sa récusation absolue, son fallacieux paradis. Le corona virus est la réalisation technique de l'exil des pouvoirs humains dans un au-delà ; la scission achevée à l'intérieur de l'homme. 



Point de vue de l’Aranea

    Ils avaient cherché refuge dans ces pierres ancestrales, accumulées les unes sur les autres depuis longtemps, et soudées par la magie d’...