dimanche 27 mars 2016

De la servitude volontaire (encore et toujours...)



Le langage de la société civile, de, de tant de citoyens domestiques1, c’est celui de réformer le code du travail
Le langage du théoricien, c’est celui de la théorie.
L’optimisme des morts, c’est celui du vivant.
Et les mots que l’on possède ne possèdent jamais rien....
__________________________________________________


1 Que les esclaves romains fussent les esclaves de l’empire de Rome, c’est une chose. Que les “ esclaves-citoyens ” soient esclaves de l’empire qu’a sur eux le salariat et la bonne conscience du salariat (leur rapport ou socialisme paisible), en est une autre. Cependant, le citoyen dont nous parlons n’est réellement ni un esclave ni un citoyen, mais un domestique. Petite différence, certes. Mais il nous plaît ici de nous prendre pour Aristarque, et de faire apprécier benoitement la différence qui existe entre esclave et domestique.

L’esclave, comme vous le savez — puisque vous avez tous lu Hegel — , reste, malgré tout, maître, tant théoriquement que pratiquement, de sa position d’esclave (debout, assis, couché). L’esclave savait ce qu’il n’était pas : un être humain libre. L’esclave pouvait haïr ses maîtres, se détourner d’eux (au moins en théorie), et même essayer de prendre leurs places (au moins en pratique). L’esclave ne maniait jamais la science de la servilité. Il était seulement esclave des princes. Il voulait vivre le pauvre bougre : “ Aux armes etc. ”

En revanche, le domestique est au service “ pur et parfait ” de ses maîtres. Il lave, repasse leurs draps, fait leurs lits et s’y glisse même, et surtout réforme le code du travail, etc. Il admire la moindre action de ses maîtres, accomplit la moindre prophétie de ceux-ci ; il leur est dévoué corps et âme. Aucun acte, aucune parole, aucune humiliation ne sauraient le blesser réellement. Non, rien ne saurait échapper au domestique et au théoricien de la servilité pour contenter leurs maîtres et leurs nombreux petits congénères.

L’esclave, comme vous le savez — puisque vous avez tous lu sur l’histoire de Rome — , était l’homme des empires anciens. Cet homme, tant en théorie qu’en pratique, pouvait s’affranchir ou être affranchi, devenir un homme, se révolter, devenir plus riche que certains patriciens. Ou, tout aussi bien, accepter la mort. L’esclave romain, par exemple, c’était l’homme qui ne se contente pas de sa cage, l’homme qui ne se contente pas du simple désir des autres, ni de conditions de travail décentes...Tandis que le domestique, c’est l’homme de la République libertariste — cette sorte d’homme ou cette sorte de femme - qui se contente de la démocratie commerciale et comptutaionnelle, etc., Parce que la démocratie commerciale et computationnelle se contente de lui et plus particulièrement de sa carte bancaire. Et oui !

Ainsi va le monde, avec ses aristocrates et leurs esclaves, ses propriétaires et leur moyens de destructions, ses bourgeois et leurs domestiques. D’un “ coté ” de l’histoire, les aristocrates-esclaves, de l’autre les bourgeois-domestiques. Les uns viennent de la guerre, les autres du commerce. Mais à époques différentes, moeurs identiques...


Avec l'aimable autorisation des Editions Idées au Carré

samedi 12 mars 2016

Tel Quel

Au fond d'une guitare enragée, à l'automne
Il y avait du sang comme un dièse mouillé
C'était à Bonn, au détour d'une rue

S'il fallait parler de cette romance en allée dans la rue
Avec ses habits du dimanche
Alors que la semaine s'étire on ne peut mieux, au bout de l'incertain et du tragique
S'il fallait chanter cet éternel recommencement qui tient de l'habitude et du savoir constant et vérifié par les arbres
Par les crépuscules teints
Par les regards cachés derrière la pensée perverse ou religieuse
S'il fallait dire un peu de cette insouciance et qui nous mène au jardin des faillites et de la solitude
S'il fallait... S'il fallait...
Alors remonterait du fond de nos cagibis inconscients
Du fond de notre vouloir le plus profond
La certitude
Le temps précis et incalculé et toujours indemne,
Alors s'emballerait notre habitude retenue par la défense de s'insurger, de s'éprendre, de s'illusionner.
Coriolan n'était qu'un prétexte.
Egmont ? Parlons-en !
Tu te souviens ?

Sur cette plage toute en graviers
Cette plage défaite au nom d'une certaine compromission entre la mer et le spectacle
Cette plage que tu voulais défaite et soumise à ton imaginaire, chorégraphie d'enfant seul et triste
Tu t'en souviens, dis ? Tu t'en souviens ?
Et tu chantais... et tu chantais... et tu chantais...
Et tu chantais, et tu chantais, et tu chantais !
Et tu pensais qu'Egmont c'était la mer, le drame, les larmes
La beauté de cet instant fabuleux de solitude exaucée
Tu l'avais dit, et tu l'avais crié à ce prof impotent du verbe et de la grâce, et tu t'étais caché parce que tu étais seul au monde et vaincu et grinçant contre l'imbécillité secourue et protégée par la loi et par le nombre.
Depuis, Egmont me remonte comme la mer après ses descentes impitoyables au fond des enfers et de la nature fidèle.
Egmont, comme une source bienheureuse et coulant comme une génération tout entière de bienfaits uniques, parce que tu es l'Unique
Parce que je t'ai donné l'Unique et ce Temps
Qui s'est arrêté au bout de la seule invention de l'homme...
Devine !

Je m'illusionne et je pars m'illustrant moi-même et me regardant à travers le style enfin parcouru au long de tous ces silences, de toutes ces vicissitudes interpolées par des copistes dont je me fais le modèle transmis d'on ne sait où et, sans doute, par voix orale.

Quand je parle à l'illusion, je suis à Bonn sous-traitant la quatorzième symphonie chez un archiduc de mes prétendants.
Je vais alors et maintenant vers l'horizon blafard et souriant peut-être, parce que de mon œil, jusqu'à son désir de paraître, il n'y a probablement qu'une intention d'architecte.
Ce que je vois se perd.
Ce que j'instrumente ne peut qu'être perdu aussi.
L'instinct du hautbois est une crécelle inventée par des lèvres secourues.
Le vent, d'habitude, s'informe de ses perverses possibilités et se retrouvera bientôt dans le plan général de ces bois vertueux et grinçants rien qu'à l'idée de se protéger tout en haut, à l'aigu, se défendant aussi de la fable contrapunctique, et apprise sur les bancs de l'informe et de la décadence.
Le chant... le chant... le chant et cette vertueuse passion qui ne va jamais au bout de la relative inversion, dans le moins, que l'on ne découvre qu'à force de bienfaits dans l'outrage et dans le sacrifice propitiatoire.
Un peu comme la terreur obligée du stupre et de la revendication.
Je sais des formules apprises. Je leur crachais dessus.
Je sais des impossibilités pratiques. Je les décontenançais à force d'incroyable.
L'incroyable, c'est la porte de secours que je poussais quelquefois, et personne, jamais, ne s'en est aperçu.
La perversion m'obligeait à me rendre tel que les pervers pouvaient m'imaginer, et encore... Cette perversion tellement cachée au fond des mers conscientes revues et corrigées par le cynisme des lois de préférence pénales, je l'entendais au fond de moi, comme les accords de la Neuvième que j'avalais de travers parce qu'engloutis pêle-mêle dans ma bouche auriculaire, et je la rendais à qui de droit, je veux dire aux inadaptés de l'esprit.
Ils croyaient que je me trompais alors que Stravinski c'était déjà moi.
Avec le sourire en plus. Enfin... ce sourire tout près de vos larmes. Il faut concéder. Ça favorise et ça trompe les historiens.

J'allais jouer à la marelle, avec trente-deux cases.
La sonate pour piano, c'est une démission de joueur.
Quand Dieu se masturbe, il met du cassis dans ton vin blanc et tu jouis en même temps que lui, à cela près que Dieu c'est toi aussi.
Vous n'êtes rien moins que les informes copies de votre propre imagination.
Lorsque tu imagines, tu crois être dans le spectacle alors que le spectacle te regarde et te vérifie.

Quand je transpirais auprès de Térésa, elle prenait ça pour du génie. Mon génie, c'était justement de m'arrêter à temps, au bord du non-dit et de l'informulé.
Tu sais bien que Rembrandt n'a jamais dessiné que des fadaises !
Si tu voyais ce qu'il voyait, tu t'arracherais mes oreilles.
Nous sommes d'un monde non édifié et que nous sommes seuls à parcourir, encore qu'il y faille un peu de désordre aussi et de cette indicible beauté qu'on ne dit même pas en musique ou au fusain et que nous immolons chaque soir avant de parcourir l'inédit et la fantastique pâleur du silence et de l'objective inanité.
Le néant, vraiment, finit par avoir une consistance, tellement nous nous en informons, tellement nous le parlons avec nos mots et nos idées, alors que l'idée même en est transfigurée par nos sens et notre dérisoire entendement.
Coriolan n'était qu'un prétexte. Egmont ? Parlons-en !
Tu te souviens, dis ?
Sur cette plage toute en graviers
Cette plage défaite au nom d'une certaine compromission entre la mer et le spectacle,
Cette plage que tu voulais défaite et soumise à ton imaginaire chorégraphie d'enfant seul et triste, tu t'en souviens ?
Et tu chantais... et tu chantais... et tu chantais...
Et tu pensais qu'Egmont c'était la mer, le drame, les larmes, la beauté de cet instant fabuleux de solitude exaucée, et tu l'avais dit, et tu l'avais crié à ce prof impotent du verbe et de la grâce,
Et tu t'étais caché parce que tu étais seul au monde, et vaincu, et grinçant contre l'imbécillité secourue et protégée par la loi et par le nombre.

Depuis, Egmont me remonte comme une source bienheureuse et coulant comme une génération tout entière de bienfaits uniques
Parce que tu es l'Unique
Parce que je t'ai donné l'Unique
Et ce Temps qui s'est arrêté au bord de la seule invention de l'homme : la douleur ! 

(Léo Ferré - Ludwig)


samedi 5 mars 2016

Au delà de la posture anarchiste : l'écriture de Léo Ferré aux prise avec une philosophie de l'expérience, de la crise et du dépassement.



 
 
 
« Je voudrais m'insérer dans le vide absolu et devenir le non-dit, le non-avenu, le non-vierge par manque de lucidité. » (Léo Ferré, La solitude, 1971)


« Je sais des paradis tranquilles où les anges n'ont pas de vin à boire, mais des orages de raison » (Léo Ferré, Basta, 1973)


« Je sais des formules apprises. Je leur crachais dessus. Je sais des impossibilités pratiques. Je les décontenançais à force d'incroyable. (….) Elle prenait ça pour du génie..Mon génie, c'était justement de m'arrêter au bord du non dit et de l'informulé .» (Léo Ferré, Ludwig, 1982)


Il est convenu de considérer l’œuvre poétique de Léo Ferré comme une synthèse subtile entre d'un côté une certaine fidélité à la prosodie et à la métrique et de l'autre un dépassement sans borne du « vers libre », prenant à la lettre l'appel des surréalistes – notamment celui d'André Breton – pour qu'à travers les mots, « la beauté soit convulsive ! » Le tout sous-tendu par une posture volontairement provocatrice, une veine parfois perçue comme désespérée voire nihiliste, mais aussi et surtout un ancrage radical dans la pensée anarchiste. Léo Ferré serait l'homme révolté décrit par Albert Camus : l'homme qui dit non !

Historiquement l'anarchie de Léo Ferré s’élabore au croisement de trois dimensions : une enfance et adolescence surdéterminées par le sentiment d'emprisonnement et de négation de sa subjectivité, un dur cheminement d'apprenti-artiste (« chansonnier ») conditionné par le contexte d'une culture populaire déjà devenue marchandise vide de sens, enfin un climat intellectuel français marqué par une bipolarisation trop caricaturale entre d'un côté, les tenants d'un Sartrisme encore trop marxisant et de l'autre un Aronisme, dont le libéralisme Tocquevillien cachait mal les mécanismes d'oppression générés par le pouvoir économique. Dans les années qui vont de 1960 à 1980, Léo Ferré ne trouvera ni chez les structuralistes, ni chez ceux que l'histoire a qualifié de « nouveaux philosophes » (comme une farce) de véritable creuset philosophique pour nourrir son œuvre écrite. Pourtant on a trop tendance à l'oublier, avant de donner entière liberté à sa plume, Léo Ferré fréquente à Paris les amphithéâtres universitaires de science politiques et de droit1. Il est d'ailleurs remarquable- que sans s'être confié de façon précise sur ces années de formation de jeune homme, il ait gardé - comme un immense honneur - la chance d'avoir entretenu avec Gaston Bachelard pendant de longues années, une correspondance entre philosophie et poésie,

Certes Léo Ferré en tant qu'artiste anarchiste est connu et discuté. Ce serait toutefois une erreur d’isoler son ancrage philosophique stricto sensu aux grandes figures philosophico-politiques diverses de l'archipel anarchie (Michel Bakounine, Pierre Kropotkine, Jacques Elisée Reclus,) Car nous postulons que la posture perçue comme telle de Léo Ferré, est inséparable d’une série d’options à la fois métaphysiques, morales, politiques et esthétiques, à l’instar des grandes philosophies classiques. A travers un survol non exhaustif de l’œuvre de Léo Ferré2, nous allons essayer de faire émerger trois dimensions essentielles de son écriture, donc de sa pensée : celle d’expérience, celle de crise, et celle de dépassement (ou dialectique).


I. Une philosophie de l’expérience

La première grande figure tutélaire (jamais officiellement revendiquée comme telle par Ferré) est celle de Hegel, notamment à travers sa phénoménologie, dont le concept clé reste celle de l''expérience du sujet comme première forme de construction de l'esprit. Léo Ferré inonde l'ensemble de ses textes (poèmes et prose) de trois caractéristiques fondamentales de l’expérience : celle d'immanence, celle d'historicité, et celle de totalité. Mais il va en enrichir le sens phénoménologique..


A/ L Immanence:

L’expérience (et Léo Ferré le sait3) c’est tout ce qui nous arrive. Par définition, ce dont nous n’avons pas l’expérience, ce qui serait au-delà de l’expérience, ne compte pas pour nous. L’expérience c’est aussi notre histoire, individuelle et collective. Mais, chez Ferré, cette histoire reste indéfiniment ouverte. Elle n’est pas tendue vers un grand soir spéculatif, comme chez Hegel, ou vers des lendemains qui chantent, comme chez Marx. Ensuite à l’idéalisme hégélien, Ferré oppose un naturalisme de type darwinien L’expérience n’est pas celle d’une entité plus ou moins mystérieuse appelée « Esprit ». C’est plutôt celle d’un corps sexué4 qui cherche à s’adapter au milieu en rétablissant un équilibre perturbé. Et ce corps pensant est conçu comme un organisme en perpétuelle mutation, ce qui signifie que l’origine des processus les plus intellectuels est à rechercher dans les régulations de la vie biologique. Toutefois, le biologisme de Ferré n’est pas réductionniste. La connaissance est bien une forme d’adaptation vitale, mais la spécificité des intérêts intellectuels se voit toujours prise en compte. Et Ferré prend bien soin d’articuler la matrice biologique de la vie à une matrice culturelle. Dans cette logique d’adaptation, l’expérience est fondamentalement une interaction sujet / milieu. C’est même cette interaction qui est première et ce n’est que par abstraction que l’un ou l’autre des termes peut être isolé. Un sujet est donc toujours situé. L’expérience est ainsi une transaction continue. Continue parce qu’elle ne cesse de surmonter les déséquilibres qui ne manquent pas d’intervenir entre le sujet et son milieu et qui menacent de rompre la transaction5. Mais aussi parce que toutes les dimensions de l’expérience (psychologiques, sociales et intellectuelles), s’enracinent dans la vie biologique, sans qu’il y ait de ruptures entre elles, ni sans qu’on puisse réduire les niveaux supérieurs aux inférieurs. L’expérience de Ferré emprunte à celle de Hegel, mais elle n’est pas celle des empiristes qui y voient le façonnage d’un sujet passif par un milieu, c'’est un mélange d’activité et de passivité, de projet et de réceptivité6.

B/ L'historicité et les invariants de l’expérience

L’expérience est également d’ordre historique. L’expérience des médiévaux mêlant le prosaïque au surnaturel et les problèmes aux mystères, s’avère bien différente de la nôtre qui s’efforce de distinguer l’objectif du subjectif ou encore les faits de leurs interprétations. Il y a cependant des invariants. Empruntant à Gaston Bachelard, Ferré, Ferré va en retenir trois.

Premier invariant, nous pensons et agissons toujours dans un mélange de stable et de mouvant7. Dans l’expérience, des choses changent, mais nous ne pouvons percevoir ce changement que si d’autres restent relativement et provisoirement stables. En généralisant, nous avons toujours affaire à un composé de certitudes et de doutes, de sécurité et de risque, de chance et de malchance. Telle est la donnée anthropologique fondamentale qui nous livre au relatif, à l’imparfait, à l’insatisfaisant et définit notre condition humaine. Cette donnée, la culture va l’interpréter, soit pour la prendre en charge et la domestiquer, soit au contraire pour la nier. Religion et métaphysique s’efforcent généralement de fuir le changement en inventant des dualismes : le monde réel et le monde des idées, la vie terrestre et le paradis. Ferré va sans cesse chercher au delà des généalogies des arrières mondes métaphysiques ou religieux8. Pour lui, l'erreur philosophique revient toujours à convertir une morale inavouée en cosmologie. Ayant identifié le stable avec le bien, la métaphysique fait de ce stable, à l’instar du platonisme, la structure du monde vrai, c'est-à-dire du monde des idées. Cette stratégie se substitue à l'effort cognitif et politique pour améliorer véritablement les choses du seul monde qui nous est donné en partage.

Deuxième invariant, l’expérience s’avère soit « consommatoire », c'est-à-dire jouissance immédiate des objets, soit « instrumentale », tel le travail qui n’est qu’un moyen pour une fin. On peut voir dans cette dualité les deux sources de la culture : esthétique d’un côté, technique et scientifique de l’autre. Si Ferré sait que le travail est à la source de la rationalité, s’il insiste beaucoup sur la démarche de tâtonnement incertain à travers la praxis subjective, il s’avère plus sensible à l’art et la puissance de l'imaginaire, dans une perspective d’habitation poétique du monde. Comme le montre bien son texte Basta9, Ferré n’entend pas sacrifier l’esthétique à la science ou la technique, mais s’efforce de définir un humanisme complet. L’homme pragmatiste est à la fois un artisan du manuel et un poète. L’originalité de Ferré sera de transposer l'esprit poétique de l'expérience dans une esthétique du quotidien, débouchant sur un art de vivre et de faire descendre les sciences de leur piédestal.

Le troisième invariant de l’expérience se trouve dans la communication entre les êtres à travers le langage. Mais la communication langagière est comme Janus : elle est double Elle peut être « consommatoire » et vide quand la conversation s’exerce pour elle-même et ne confère aux événements évoqués, aucune nouvelle vie symbolique10. Elle peut être instrumentale : le langage est l’outil des outils. Au lieu d’y voir l’expression d’une pensée déjà toute formée dans l’intimité de la conscience, Ferré conçoit la communication langagière différée (poésie, chant, mise en musique) comme l’intériorisation d’une communication sociale. L’esprit, ce dialogue entre soi et soi, naît de la conversation avec d'autres, où l’on prend alternativement plusieurs rôles, défendant tantôt la thèse et tantôt l’antithèse.

C/ La Totalité : C’est donc bien l’apprentissage tout au long de la vie, et non la conscience qui caractérise l’expérience. Et cet apprentissage est toujours culturellement déterminé. Ce que l’on comprend bien en étudiant comment se forme l’expérience du primitif ou celle de l’enfant. fera ainsi de l’habitude11, le constituant ultime du moi, qu'il convient de dépasser par l'expérience des sens, de l'abject comme du beau, donc de l'enrichissement dialectique de l'imaginaire12. L’expérience ne renvoie ni à l’Esprit de l’idéalisme hégélien, ni à la conscience des cartésiens. C’est un processus de transaction continue organisme-milieu, immergé dans le social et dans l’histoire. Désormais, l’Esprit de Hegel n’est autre que la culture, celle qu’appréhende le poète descendu de sa tour d'ivoire, cette culture qui donne forme à l’expérience et qui s’enrichit en retour des expériences individuelles.



II. Une philosophie de la crise

La deuxième grande source d'inspiration philosophique chez Ferré est incontestablement une autre perspective phénoménologique, celle de Edmund Husserl - dont le texte «La crise des sciences européennes»13  - prophétique en 1935 pour plus tard (après l'holocauste) être élargie par Hannah Ahrendt avec son ouvrage «La crise de la culture »14 - questionne sur le plan éthique la logique réifiante de la raison. Mettant au premier plan la notion philosophique d’expérience, l'écriture de Léo Ferré est aussi une écriture de la crise des valeurs culturelles qui composent son quotidien15.En effet, l’expérience est faite d’équilibres et de déséquilibres. Quand la transaction entre un organisme et son milieu se rompt, il y a désadaptation. La crise constitue la prise de conscience de cet échec. Quand un déséquilibre survient entre lui et son milieu, un animal peu évolué n’aura d’autres choix que de tenter de se réadapter par de nouveaux comportements. Il ne peut que s’engager sans retenue. S’il échoue, il meurt. Une amibe – disait K. Popper16 - s’en remet entièrement au milieu pour évaluer ses essais de solution. À présent, quelle sera la réaction de l’humain ?

A/ La puissance de la logique déductive de la raison

L’homme, lui, est capable de simuler la réaction du milieu. Il forge des hypothèses, les essaye et les laisse mourir à sa place. La simulation, la schématisation du réel à des fins adaptatives, sont sans doute les fonctions les plus importantes de la culture. Simuler c’est expérimenter sans risque, s’accorder un droit à l’erreur, pouvoir faire de nouveaux essais. Bref, c’est rendre possible la réflexivité et la réversibilité. Quand l’expérience accède à la simulation, la désadaptation devient problème. Le problème consiste dans la prise de conscience par le sujet d’un déséquilibre qui ne peut être immédiatement résolu. D’où la nécessité d’un dépassement. Mais comment le dépassement est t' il possible ? Parce qu’une situation n’est que rarement dans une indétermination totale et qu’à partir de ce que l’on perçoit et de ce que l’on sait, il est possible d’aller du connu à l’inconnu, d’anticiper, c'est-à-dire, par exemple, de forger des hypothèses, y compris déraisonnables.

B/ L'insuffisance de la raison qui sépare : inférer sans savoir...

Ce processus, Ferré le nomme Technique de l'exil17 et en propose une définition : « Je me propose, dans ma solitude définie, une morale non euclidienne. Le plus court chemin d'une pitié à I' autre, ce n’est pas une droite, c'est un sacré détour (…) Je songe à des photos du moins. La poésie ainsi formulée - dans le manque - obligerait à tout réinventer »

L’originalité de la technique de l'exil chez Ferré, c’est de mettre l’accent sur la construction des problèmes De les faire émerger, là où la morale et les codes sociaux ont établi de la norme. Chez Ferré la crise (personnelle, intersubjective, d'un groupe, d'une société) et son dépassement - à la fois rationnel mais aussi imaginaire - constitue la forme que prend désormais la pensée. Penser, c’est se confronter à ce qui manque, ce qui est perdu, et que l'on croyait constitutif d'une certaine forme de stabilité18. Dès lors, si l’on veut qu’apprendre ait quelque chose à voir avec penser, il faut introduire à l’école ce double esprit de la raison et de l'imaginaire. Toutefois, en promouvant un apprentissage par l’action, Ferré ne veut pas dire seulement qu’il faut faire faire quelque chose à quelqu'un au lieu de le mettre en position d’auditeur. Il veut dire que ces activités (faire du jardinage, de la cuisine, construire une cabane , lire, écrire jouer du piano ou écouter une œuvre,etc) sont des projets qui pour être menés à bien, exigent d'admettre qu'au bout du processus, il y aura toujours insatisfaction, frustration, donc nouvelle crise. Pour Ferré la philosophie de la crise fait du savoir, non pas un objet en soi, valant pour lui-même, mais toujours un processus de questionnement, cherchant à maintenir l'équilibre précaire pour chacun, entre raison positive et déraison de l'imaginaire.19



III/ Une philosophie du dépassement.

Pour Ferré, la crise de la culture provient du fait que l’héritage de la modernité n’est pas totalement assumé. D’un côté, la tradition philosophique, modifiée par le christianisme, continue d’influencer la culture20. Ainsi, les dualismes paralysants de l’être et du devenir, de la théorie et de la pratique, de l’intérêt et de l’effort, demeurent encore indépassés, parce que construits sur des socles de perceptions ni-polarisées. Finalement lorsque Ferré clame qu' « il faut mettre Euclide dans une poubelle 21», ou que « ces équations vont bien finir par nous tomber sur la gueule22» il ne dit peut-être rien d'autre que ce monde moderne n’a pas encore trouvé à s’exprimer philosophiquement. La philosophie peine à reconnaître la raison comme processus. Elle l'a définitivement installée comme destinée humaine, lui conférant par la même sa « dialectique négative 23» : la barbarie. C'est là la troisième source d'inspiration philosophique présente dans l'écriture de Léo Ferré. Celle d'un dépassement critique inspiré par l’École de Francfort, notamment à travers des auteurs comme Théodor Adorno ou Walter Benjamin, qui connaissaient trop l'importance de l'imaginaire esthétique dans toute praxis individuelle et collective Les traditions empiristes et rationalistes ont beaucoup de mal à prendre en compte les spécificités de l'imaginaire, ce qui supposerait d’accepter une nouvelle logique. L'utilitarisme instrumental de l’esprit scientifique pénètre toutes les sphères de la culture, mais sous la forme d’un doute brouillon et désordonné, qui assèche et ruine la capacité créatrice des êtres. La crise de la culture est donc un conflit entre autorités symboliques se prétendant porter l'esprit rationnel et désaliéné de l'homme24.

A/ La négation de toute autorité (celle de la raison) d'où qu'elle vienne.

Évidemment, la pensée 68 (auquel son œuvre aura contribué) a dénoncé la folie du scientisme et son matérialisme supposé, responsables de la crise de la culture. Mais, chez Ferré, la bombe atomique ne fait pas le procès de la science. Elle fait plutôt celui de la guerre, donc d’une réalité éthique préexistant à l’âge de la science. C’est bien la survie de cette manière archaïque de régler les conflits qui fait problème et non les moyens- effrayants par ailleurs - dont elle se dote aujourd’hui. Au lieu d’accuser la science de tous les maux et d’essayer de la mettre sous tutelle, il s’agit, pour Ferré, de transposer dans le domaine de l’éthique au sens large - c'est-à-dire celui des choses humaines - cette méthode d’investigation par l'expérience, qui a fait ses preuves dans les sciences de la nature. Le mal vient en effet de ce que les résultats de la science bouleversent l’aspect matériel de la vie quotidienne, sans que l’esprit scientifique proprement dit n’atteigne encore la morale, la politique et les mœurs en général. Celles-ci restent soumises à des croyances et des traditions d’un autre âge, tout en étant érodées par un doute diffus et confus25. Ferré n’est pas pour autant positiviste, encore moins scientiste. Il n’entend pas faire de la méthodologie des sciences de la nature le modèle exclusif de la rationalité. Ce qu’il veut dire, c’est que les sciences de la nature ont réussi historiquement à incarner, dans le domaine qui est le leur, une démarche de dépassement critique de nos certitudes, de re-problématisation de nos conforts intellectuels, processus qui ont vocation - une fois dépouillés des spécificités propres de telle ou telle discipline - à s’appliquer désormais à toute la culture. Ce sera le rôle de la nouvelle logique d’en expliciter les caractéristiques, de questionner l’interaction entre données et conditions, faits et théories, ou encore les caractères toujours provisoires des résultats. Naturellement cette démarche générale d’auto-correction permanente de l’expérience, devra s’infléchir en passant par le crible des représentations artistiques, et par un examen critique de l'histoire des arts, de la littérature. Si faire des inférences, si imaginer l'autre impossible26 est l’occupation principale de la vie, on comprend la nécessité d’une éducation de la pensée qui n’est autre qu’une éducation à la dialectique raison/imaginaire27.

B/ La dialectique raison/imaginaire comme principe éthique de l'esprit

L’extension du dépassement de toute crise par l' imaginaire s’avère particulièrement nécessaire. Ferre nous rappelle dans tous ses textes que nous sommes passes de la raison pure, faculté des principes premiers et absolus, à l’intelligence de l’expérience. Les principes éthiques ne sont plus des impératifs catégoriques qui permettraient de trancher à tout coup sûr entre le bien et le mal, comme le voulait Kant. Ce sont plutôt des clés pour l’analyse des cas complexes, qui révèlent des conflits de normes. Dans un tel cadre, on le voit, le problème du mal cesse d’être théologique, il est plutôt d’ordre ontologique. II n’est plus centré sur le péché ou la faute28, mais vise à soulager les maux de l’humanité. Certes nous abordons les situations éthiques avec des principes qui tiennent à notre expérience historique formée à l’école des religions, à celle des Lumières. Mais cet héritage ne nous fournit pas directement des solutions, ni même des règles à appliquer. Seulement un horizon de sens comme le respect des personnes, le souci de les regarder toujours comme des fins et non comme des moyens. C'est peut être le seul point où Ferré reste kantien. L’éthique est de fait emportée dans la reconnaissance du changement qui caractérise la modernité. Désormais, on ne juge pas un état, mais un mouvement, un progrès ou une régression, bref une direction. La morale a affaire à des processus de croissance ou de décroissance psychiques. Pour Ferré, seul le dépassement est une fin morale en soi29. Ce qui signifie que le processus éducatif et le processus éthique ne font qu’un.



Conclusion

Pour Léo Ferré, le moderne dont nous héritons constitue un mélange incohérent d’ancien et de nouveau. Le processus de sécularisation de la culture et de la société entrepris par les Lumières doit se poursuivre. Mais il doit s’accomplir de manière intelligente. Rien ne serait plus nocif que de mettre tout en question sans critique argumentée. Ce serait ignorer la véritable signification de la dialectique entre certitude et doute qui anime la raison moderne. En revanche, la solution à la crise ne peut passer que par une extension résolue du domaine de l'imaginaire, à toutes les sphères de la société, et en particulier à ceux de l’éthique et du politique. Qui restent encore trop asservis aux traditions religieuses où idéologiques. La contribution proprement poétique à une telle entreprise sera donc chez Ferré de faire émerger l iceberg caché de la science instrumentale déshumanisante. Trop de dualismes, comme celui de la théorie et de la pratique, de la culture et de la technique, de l’intérêt et de l’effort, paralysent nos pensées éthiques, dont l'imaginaire reste « le bateau ivre » de l'incertitude. Dans un monde en crise - parce que c'est la nature même de la pensée non clôturée sur elle même - il n’est de place pour aucun absolu, aucune transcendance. C’est à l’homme d’assurer avec ses seules forces, sa responsabilité dans tous les domaines de l’humain. Telle est pour Ferre l’exigence des Lumières. Refuser cette responsabilité conduit à l’intégrisme ou au nihilisme, dont on voit les ravages aujourd’hui. Le rôle de la poésie de l'expérience, de la crise et du dépassement est donc d’accompagner la sécularisation intégrale de la société, en esthétisant le quotidien. 

 
1Belleret (R) : Léo Ferré, une vie d'artiste, Ed Actes Sud - Léméac, Paris, 1996, p 87- 92

2Nous renverrons ici aux textes écrits de Léo Ferré, publiés de son vivant ou après sa mort et compilés dans l'anthologie : Léo Ferré, Les chants de la fureur, Ed Gallimard & La Mémoire et la Mer, Paris, 2013.

3Cf L'importance des faits vécus dans l' enfance in Ferré (L) : Benoît Misère, Ed Gufo del Tramonto, Sienne, 1989

4La solitude,, in opus cité, p 437

5Das Kapital, in opus cité, p 120

6Peut-on définir quoi que ce soit, in opus cité, p 1412

7Critique de la raison commune, in opus cité, p 1413

8Le Chien, in opus cité, p 405

9Basta, in op cité, p 479-493

10Words, words, words, in opus cité p 541

11Je ne sais pas ce qui est à moi, in opus cité, , p 1440

12L'imaginaire, in opus cité, p 552

13Husserl (E) : La crises des Sciences Européennes (1935) , Ed Tel-Gallimard, Paris 1989

14Ahrendt (H) : La Crise de la culture, Ed Gallimard, coll. « Folio », Paris, 1972

15Ludwig, in opus cité : p 545

16Popper (K) : Conjectures et réfutations : la croissance du savoir scientifique, Ed Payot, Paris 1985, p 122

17Techniques de l'exil, in opus cité,, p 647

18La violence et l'ennui, in opus cité, p 425

19Métamec, in opus cité, p 773-776

20Psaume 151, in opus cité, p 140

21Préface, in opus cité, p 413

22Il n' y a plus rien, in opus cité, p 415

23Adorno (T) : La dialectique négative, Ed Payot, Paris , 1978

24Nos structures, in opus cité, 1481-1482

25La méthode, in opus cité, p 634-646

26La marge, in opus cité, p 822

27L'imaginaire (version complète et inédite), in opus cité, p 1467-1481

28Oh Nietzsche agrippé aux naseaux de Turin, in opus cité, p 596


29La mémoire et la mer (version longue), in opus cité p 798-815

mercredi 2 mars 2016

Retour à Hegel

 
Dans sa leçon inaugurale au Collège de France du 2 Décembre 1970, Michel Foucault déclare que " toute notre époque que ce soit par la logique ou par l'épistémologie, que ce soit par Marx, Nietzsche ou Freud, essaie d'échapper à Hegel ".

Alors qu' en 1985 dans le tome 3 de son ouvrage "Temps et récit, Le temps retrouvé", Paul Ricoeur invitait à "définitivement renoncer à Hegel", les travaux d'Axel Honneth autour du concept de lutte pour la reconnaissance, commencés en 1989 pour un retour au fondamentaux de l'Ecole de Francfort, font écrire au même Ricoeur en 2004 ce passage fondamental :

"Dans la Phénoménologie de l'Esprit d'abord, puis dans l'Encyclopédie, il y a toute une description de ce que l'on pourrait appeler l'homme du désir. En particulier cet admirable thème de la Phénoménologie de l'Esprit, que le désir humain n'est pas le désir animal, parce qu'il est désir d'un autre désir : ce désir du désir engendre un problème dans la mesure où il passe par le langage, où il devient comme dirait Jacques Lacan, demande à l'autre. Là se noue le problème de ce que Hegel a nommé la le problème de la reconnaissance. L'homme veut reconnaître un autre humain dans cette réciprocité du désir." 1

Cette question de la réciprocité du désir comme vecteur structurant de la construction de soi parmi les autres,  est aussi finalement la préoccupation de René Girard dans toute son oeuvre: il l'appellera de son côté le désir mimétique.  Reprenant à Aristote l'idée  que "L'homme diffère des autres animaux en ce qu'il est le plus apte à l'imitation", puis à  Freud l'idée que  le propre de l'Homme est le désir - centre de toutes les structurations et déstructurations psychiques -  Girard en rassemblant les deux prédicats, développe le concept de désir mimétique, qui est l'interférence immédiate du désir imitateur et du désir imité. En d’autres termes, ce que le désir imite est le désir de l’autre, le désir lui-même. L'exemple, donné par René Girard d'enfants qui se disputent des jouets semblables en quantité suffisante, conduit à reconnaître que le désir mimétique est sans sujet et sans objet, puisqu'il est toujours imitation d'un autre désir et que c'est la convergence des désirs qui définit l'objet du désir et qui déclenche des rivalités, où les modèles se transforment en obstacles et les obstacles en modèles.

" L'homme désire toujours selon le désir de l'Autre  et le désir mimétique confine à un conflit tragico-comique dont les protagonistes deviennent interchangeables et transformés en « doubles » symétriques, « en miroirs» dans une relation duale de la rivalité mimétique qui conduit à la violence mimétique".2

Lutte pour la reconnaissance et rivalité mimétique ne sont finalement que deux modélisations distinctes de la vieille dialectique hegelienne du Maître et de l'Esclave. C'est la perspective qui change : du côté de Honneth, ce processus de lutte peut et doit être contenu par un volontarisme du Politique et de l'institution. De l'autre chez René Girard, la violence est inéluctable et seul le symbolique peut temporairement contenir la logique de l'ordre sacrificiel, invariant anthropologique de l'humanité.
Retour à Hegel donc. Puisque sur le plan logique il convient bien de dialectiser ces deux perspectives Pour conjointement réussir à l'émancipation individuelle et la praxis collective. Or dès 1923 G. Lukaks nous avait bien montré l'origine du malaise : 

« L’essence de la structure marchande a déjà été souvent soulignée ; elle repose sur le fait qu’un rapport, une relation entre personnes prend le caractère d’une chose, et, de cette façon, d’une « objectivité illusoire » qui, par son système de lois propre, rigoureux, entièrement clos et rationnel en apparence, dissimule toute trace de son essence fondamentale : la relation entre les hommes 3»

Finalement c'est peut être de l'illusion des fétiches – dont celui du savoir entretenu par l'école – dont il s 'agirait de réfléchir en hegelien.




1Ricoeur (P) : Parcours de la Reconnaissance, Le Seuil, 2004, p 253-272
2Girard (R) : Les origines de la culture, Desclée de Brouwer, p. 53.
3Lukács (G), Histoire et conscience de classe, Editions de Minuit, Paris, 1970, p.110

Préface... du quotidien.

La poésie contemporaine ne chante plus... Elle rampe
Elle a cependant le privilège de la distinction...
Elle ne fréquente pas les mots mal famés... elle les ignore
On ne prend les mots qu'avec des gants : à "menstruel" on préfère "périodique", et l'on va répétant qu'il est des termes médicaux qui ne doivent pas sortir des laboratoires et du Codex.

Le snobisme scolaire qui consiste, en poésie, à n'employer que certains mots déterminés, à la priver de certains autres, qu'ils soient techniques, médicaux, populaires ou argotiques, me fait penser au prestige du rince-doigts et du baisemain.

Ce n'est pas le rince-doigts qui fait les mains propres ni le baisemain qui fait la tendresse.
Ce n'est pas le mot qui fait la poésie, mais la poésie qui illustre le mot.


Les écrivains qui ont recours à leurs doigts pour savoir s'ils ont leur compte de pieds, ne sont pas des poètes, ce sont des dactylographes.

Le poète d'aujourd'hui doit être d'une caste, d'un parti ou du Tout-Paris.
Le poète qui ne se soumet pas est un homme mutilé.

La poésie est une clameur. Elle doit être entendue comme la musique.
Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée dans sa typographie, n'est pas finie. Elle ne prend son sexe qu'avec la corde vocale, tout comme le violon prend le sien avec l'archet qui le touche.


L'embrigadement est un signe des temps.
De notre temps

Les hommes qui pensent en rond ont les idées courbes.
Les sociétés littéraires c'est encore la Société.
La pensée mise en commun est une pensée commune.

Mozart est mort seul,
Accompagné à la fosse commune par un chien et des fantômes.
Renoir avait les doigts crochus de rhumatismes.
Ravel avait dans la tête une tumeur qui lui suça d'un coup toute sa musique.
Beethoven était sourd.
Il fallut quêter pour enterrer Béla Bartok.
Rutebeuf avait faim.
Villon volait pour manger.
Tout le monde s'en fout...


L'Art n'est pas un bureau d'anthropométrie !

La Lumière ne se fait que sur les tombes...

Nous vivons une époque épique et nous n'avons plus rien d'épique
La musique se vend comme le savon à barbe.
Pour que le désespoir même se vende il ne reste qu'à en trouver la formule.
Tout est prêt :
Les capitaux
La publicité
La clientèle
 
Qui donc inventera le désespoir ?

Avec nos avions qui dament le pion au soleil,
Avec nos magnétophones qui se souviennent de "ces voix qui se sont tues",
Avec nos âmes en rade au milieu des rues,
Nous sommes au bord du vide,
Ficelés dans nos paquets de viande,
A regarder passer les révolutions


N'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la Morale,
C'est que c'est toujours la Morale des autres.

Les plus beaux chants sont des chants de revendications
Le vers doit faire l'amour dans la tête des populations.

A l'école de la Poésie on n'apprend pas...

(Léo Ferré,  Préface, In Poète vos Papiers !, Ed La Table Ronde, 1956)

On se bat !

Point de vue de l’Aranea

    Ils avaient cherché refuge dans ces pierres ancestrales, accumulées les unes sur les autres depuis longtemps, et soudées par la magie d’...