mardi 17 février 2015

Entre Reconnaissance et Effroi, entre Mimesis et Catharsis, la Poétique et son double selon Wajdi Mouawad.








« Le théâtre, comme la peste, est à l'image de ce carnage, de cette essentielle séparation. Il dénoue des conflits, il dégage des forces, il déclenche des possibilités, et si ces forces et possibilités sont noires, c'est la faute non pas de la peste ou du théâtre, mais de la vie. »
(Le Théâtre et son double, Gallimard, Paris, 1938 ; rééd. coll. Idées Gallimard, 1985, p 36)
 


Wajdi Mouawad est un prisme. Ses écrits (théâtraux, romanesques, poétiques) nous saisissent avec l’exacte précision du daguerréotype. Sans aucune imperfection, ni de forme, ni de profondeur. Ses mots à eux seuls, mais plus encore les choix scénographiques qui les exposent, deviennent dès qu’ils s’extirpent de leur impression typographique, une chambre noire de nos désirs, de nos  peurs, de nos torpeurs, de nos lâchetés. Comme un miroir matinal et glacial de nos existences outrées et sidérées par l’inconscient qui gouverne nos nuits.



Wajdi Mouawad n’écrit pas, il ne met pas en scène : il instantanéïse nos pensées secrètes. Parce qu’il parle du monde, de la guerre, de l’exil de l’amour, du désir, du pouvoir, du sexe, du mensonge. Donc du sang[1]. De Beyrouth à Paris, de Rouen à Montréal, il est - comme la figure du Damné chère à F. Fanon[2], devenu Enfant/Homme lacéré par les lames implacables d’un ordre du Monde, qui lui/nous échappe.  L’enfance, les odeurs, les goûts et les bruits familiers, leurs correspondances à travers le spectre chromatique, ces infinis moments (parce que parfois si fugaces) de structuration de soi, exposés brutalement à la folie des adultes. Sans préavis, sans sas ! Il n’y pas eu de transit. Il n’y aura que de l’exil et du manque.  Pour lui, mais aussi sa sœur, devenus brutalement en une nuit deux enfants qui découvrent l’étal du boucher.



Se masquer d’abord les yeux pour mieux contempler l’horreur et la fascination, à travers le filtre des doigts qui ne sont pas encore souillés.  Vomir et hurler, se prostrer et s’arracher à l’arraisonnement d’un monde qui sombre dans le néant. Et puis lire, lire, encore et toujours lire. Comprendre peu à peu que seule l’alchimie des mots transfigurant la nature, donne du sens[3]. Jamais explicite. Toujours au-delà de ce qui est typographiquement signifié.



Il n’est pas complètement hasardeux que Wajdi Mouawad soit retourné après sa formation théâtrale canadienne aux ressorts et desseins de la tragédie grecque.[4]. Car comme les trois grands maîtres de la discipline (Eschyle, Sophocle et Euripide), il joue avec une dimension double et enchevêtrée dans tous les domaines : le texte/l’espace scénique l’intrigue/les péripéties, les acteurs/le chœur, le texte/les images représentées. Cette division de l’espace scénique et de son champ signifiant, n’est pas uniquement méthodologique au service d’une pédagogie pour le spectateur. Elle est bien plus dialectique, car postulant que raison et sens, logos et hubris, sont au service d’une commune acuité aiguisée. De soi comme des autres. Mais aussi de l’autre qui sommeille en chacun d’entre nous.



Pour mémoire rappelons que chez Aristote, à la différence de Platon, le terme le plus large embrassant l'art poétique, (ou poiètikè), est celui de la mimèsis,  traduit traditionnellement par imitation, et plus récemment[5]  par représentation, Pour Aristote l’art de la Poétique, s’appuie sur la mimèsis et comprend « l'épopée, la poésie tragique, la comédie, et l'art du dithyrambe »[6]. A la différence de Platon qui limitait la mimesis au seul  registre du discours réel dans le logos, Aristote assigne ainsi à ces quatre genres les fonctions d’une « mimèsis symbolique et cathartique, conditions préalable à toute éthique » du vivre ensemble.[7]



Trois sortes de distinctions sont aussitôt introduites dans la mimèsis : les moyen de la représentation (en hois), les objets de la représentation (ha), les modes de la représentation (hôs). Aristote montre à ce propos le ressort subtil et heuristique de la tragédie, qui en jouant avec chacun des trois paramètres, produit chez celui qui écoute et regarde, comme « un changement en sens contraire dans les faits qui s'accomplissent […] selon la vraisemblance ou la nécessité[8]»



C’est ainsi qu’empruntant à ce modèle de rupture du schéma narratif linaire autant qu’à la règle des trois unités, Mouawad  pousse admirablement bien l'art de tendre l'action, susciter le désir d’identification pour,  au détour d’un mot ou d’un visuel, faire naître la peur, faire monter le dégoût, voire la nausée. Par exemple dans chacune des mises en scène de sa propre trilogie[9], mais aussi par la reprise de textes d’auteurs[10] propices à l’exposition des mêmes processus psychiques chez le spectateur,  Reconnaissance et désafiliation enchevêtrées, comme une boucle étrange propre à soutenir l'art de dévoiler simultanément, le symbolique caché dans le réel en même temps que la dimension psychique opérante et réelle de tout mythe[11].



Lorsqu’il se risque lui même à l’écriture, Wajdi Mouwad semble guidé par cette idée maîtresse : alors  il invente de nouvelles fables, allégories, ou récits plus élaborés sur le modèle des mythes anciens, dont il reprend les thèmes et les fonctions structurantes sur le plan imaginaire et symbolique, pour rendre compte de la composante non rationnelle de certains questionnement ontologiques chez l’homme[12]. Ses textes sont alors écrits comme ils sont pensés, avec un soin, un scrupule qui ne permet pas au lecteur la moindre distraction. Tous les mots y sont choisis, pesés, employés dans leur sens propre et précis ; souvent une particule a besoin d'y être remarquée, méditée, à cause de ses rapports essentiels au sens : tout y est nerf et tension, essence et substance.. Wouajdi Mouwad nous annonce lui-même un plan plus étendu que ce qui nous reste. On y trouve la définition exacte de la poétique aristotélicienne, prise  dans sa globalité, et les différents registres sous lesquels elle « embarque   son lecteur hypocrite semblable ».

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Wajdi Mouawad est un poète dramaturge qui  pratique la philosophie dangereuse. Celle de la communication réelle au-delà des mots posés. Au-delà des mots agglutinés. Vous avez remarqué que chez Wajdi Mouawad, le moindre signe de ponctuation parle et résonne[13]. Pas comme dans  la communication moderne des auteurs qui - se pensant poètes, romanciers, essayistes  à l’effigie d’Hermes – ne font que révéler leur servilité. Ne jamais oublier que même divin, Hermes reste l’esclave de Zeus.



Wajdi Mouawad n’a pas honte d’être  humain[14]. Trop de nos semblables  l’éprouvent.  Pas seulement dans les  situations extrêmes, décrites par  les catastrophistes patentés - mais dans ces conditions insignifiantes  que sont la bassesse et la vulgarité d’existence qui hantent quotidiennement nos rues supermarchés.. Toutes ses histoires parlent en miroir  de l’ignominie des possibilités de vies qui nous sont offertes[15]. Toutes ses fictions poétiques  fonctionnent comme des poupées gigognes. De l’horreur à la magie. Du désastre à l’émerveillement (plus que quotidien). Du dedans au dehors. De l’intérieur impossible de nos rêves à l’extérieur irréel des anecdotes quotidiennes[16].  Dans toute leur horreur, toute leur réalité. Simplement avec des mots. « pensés comme des armes scalpel ».  Il n’y a pas d’autre moyens que de faire ce que la nature nous enjoint d’être : animal[17]. Et pourtant Wajdi Mouawad transmute le dégoût en or.



Wajdi Mouawad  fricote avec nos pensées secrètes. Inavouables. Même sur l’oreiller. Surtout en société ! La mimesis et la reconnaissance - les portes fermées, les papillons morts – réclament  toujours un malin à deux têtes : le diable qui exsude le mal et dispense d’affronter le feu du négatif. Et le prince charmant, par un simple baiser, éveille les vertus et la morale. C’est tout le miracle de la science moderne que d’avoir réconcilié ces deux figures opposées à travers le transparent concept de “chaos “: de la bouillie originelle de tous les possibles au cyber-marché libertaire.”. Wajdi Mouawad dialectise autrement ses deux impasses du XXIè siècle : « pourquoi sommes nous convaincus que nous ne pouvons pas véritablement parler aux gens ? »  Et si les portes de nos émotions étaient réellement ouvertes ? Et si les papillons - que nous croyons tous morts – s’y étaient donnés rendez-vous. Là juste derrière : poussez vos portes[18]



Wajdi Mouawad - à sa façon - déconstruit la théorie (économico-politico-civilisationnelle) du chaos. Tous ses écrits montrent que cette dernière n’est finalement que la descente de lit du couple amoureux. Elle ne  sert à rien pendant l’acte de création. Elle ne connaît pas la volonté sublime qui réside, tant dans la conscience que dans le fantasme. Wajdi Mouawad est dangereux : il  est le concentré littéraire de tous les psychotropes et autres produits dopants. « Qu’est ce que vous lisez ? »  « Du Wajdi Mouawad » « Embarquez moi ça ! Dégrisement immédiat » L écriture de Wajdi Mouawad nous force à penser la police du livre et de la pensée imaginée par Farhenheit 451. Parce que qu’elle nous oblige à sortir des schémas préconstruits. Parce que ses histoires pulvérisent les modèles importés clés en mains de l’inachèvement des langages philosophiques, religieux et/ou mathématiques[19].



De même que le chaos est à la mécanique ce que le vouloir est à l’éthique, de même Wajdi Mouawad est à la littérature et la poésie ce que le Désir inconscient est à la Rencontre. L’ordre surgit du hasard.  Quand je reprends à n’importe quelle page un ouvrage de Wajdi Mouawad, une fois le livre refermé, je sais la certitude que le désordre du  monde est aussi le volcan amoureux des rencontres impensées, insensées. Toutes les guerres créent un climat typique où l’être désiré devient le baromètre des secousses publiques.  Avec Wajdi Mouawad nous apprenons intérieurement à nous comprendre comme une vaste cité tremblante d’envies[20].



[1] Mouwad ((W) : Le Sang des Promesses : Puzzle, racines, et rhizomes, notes de travail, de mise en scène, etc. À propos du processus d’écriture et de mise en scène de la tétralogie. Leméac/Actes Sud, 2009
[3] Mouwad ((W) : Seuls - Chemin, texte et peintures, Actes Sud, 2008
[4] Mouwad ((W) : avec successivement les mises en scènes suivantes :  1998 : Œdipe roi de Sophocle,  1999 : Les Troyennes d’Euripide,  2011 : Des femmes - Les Trachiniennes, Antigone, Electre de Sophocle, Festival d’Avignon, Théâtre Nanterre-Amandiers , 2013 : Des héros - Ajax, Œdipe roi de Sophocle, Théâtre du Grand T, Nantes
[5] A  partir du XIè siècle en Europe avec la tradition des Trobars : la poésie des troubadours est une littérature poétique en vers réguliers, destinée à être chantée, voire mise en dialogues et représentée en  saynètes. C’est dans son prolongement que va naître le théâtre classique arraisonné par tout un ensemble de règles formelles.
[6] Chap III :  Différentes sortes de poésie selon le manière d'imiter, p14, in  Aristote : Poétique, Gallimard, NRF Essais, 1996,  (Trad J. Hardy, Pref Ph Beck), p14
[7] Aristote : Éthique à Nicomaque, Paris, Flammarion, coll. GF 2004, p 72
[8] Chap VI :   Définition de la tragédie. - Détermination des parties dont elle se compose. - Importance relative de ces parties,, p 39,  in  Aristote, op cité
[9] Littoral, Incendies, Forêts, la trilogie, Festival d’Avignon, 2009
[10] Mouawad (W) : mises en scène de Don Quichotte de Cervantès (1995) , Les Trois Sœurs de Anton Tchekhov (2002) et Ma mère chien de Louise Bombardier (2005)
[11] Durand  G : Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Dunod, 1996 Notamment dans ce passage : « Réel et l’imaginaire doivent s’entendre comme le m^me lieu d’un douvble mouvement dans lequel la représentation de l’objet se laisse assimiler et modeler par les impératifs pulsionnels du sujet, et dans lequel réciproquement, les représentations subjectives s’expliquent  par les accommodations antérieures du sujet au milieu objectif. » p 17
[12] Mouawad (W) :  Littoral, coédition Leméac/Actes Sud-Papiers, 1999, 2009 (partie 1 du cycle Le Sang des Promesses) ,  Incendies, coédition Leméac/Actes Sud-Papiers, 2003, 2009 (partie 2 du cycle Le Sang des Promesses), Forêts, coédition Leméac/Actes Sud-Papiers, 2006 (partie 3 du cycle Le Sang des Promesses), Ciels, Actes Sud, 2009 (partie 4 du cycle Le Sang des Promesses)
[13] Mouawad (W) : Le Poisson soi (version quarante deux ans), Editions Boreal 2011
[14] Mouawad (W) : Willy Protagoras enfermé dans les toilettes, Leméac, 2004
[15] Mouawad (W) : : Les tigres  de de wajdi Mouawad, Editions Joca Seria 2009
[16] Mouawad (W) : Journée de noces chez les Cromagnons, coédition Leméac/Actes Sud-Papiers, 2011
[17] Mouawad (W) : Anima, Actes Sud, 2012
[18] Mouawad (W) : Un obus dans le cœur, Actes Sud Junior-Leméac, 2007
[19] Mouawad (W) : Visage retrouvé, coédition Leméac/Actes Sud, 2002
[20] Mouawad (W)  Seuls - Chemin, texte et peintures, Actes Sud, 2008, op cité

mardi 10 février 2015

Parce qu'il ne faut jamais oublier....




les écrits des "Vieux" qui  parlent pour "dans 10 000 ans"...


Allende

Ne plus écrire enfin attendre le signal
Celui qui sonnera doublé de mille octaves
Quand passeront au vert les morales suaves
Quand le Bien peignera la crinière du Mal

Quand les bêtes sauront qu'on les met dans des plats
Quand les femmes mettront leur sang à la fenêtre
Et hissant leur calice à hauteur de leur maître
Quand elles diront: "Bois en mémoire de moi"

Quand les oiseaux septembre iront chasser les cons
Quand les mecs cravatés respireront quand même
Et qu'il se chantera dedans les hachélèmes
La messe du granit sur un autel béton

Quand les voteurs votant se mettront tous d'accord
Sur une idée sur rien pour que l'horreur se taise
Même si pour la rime on sort la Marseillaise
Avec un foulard rouge et des gants de chez Dior

Alors nous irons réveiller
Allende, Allende, Allende !

Quand il y aura des mots plus forts que les canons
Ceux qui tonnent déjà dans nos mémoires brèves
Quand les tyrans tireurs tireront sur nos rêves
Parce que de nos rêves lèvera la moisson

Quand les tueurs gagés crèveront dans la soie
Qu'ils soient Président ci ou Général de ça
Quand les voix socialistes chanteront leur partie
En mesure et partant vers d'autres galaxies

Quand les amants cassés se casseront vraiment
Vers l'ailleurs d'autre part enfin et puis comment
Quand la fureur de vivre aura battu son temps
Quand l'hiver de travers se croira au printemps

Quand de ce Capital qu'on prend toujours pour Marx
On ne parlera plus que pour l'honneur du titre
Quand le Pape prendra ses évêques à la mitre
En leur disant: "Porno latin ou non je taxe"

Quand la rumeur du temps cessera pour de bon
Quand le bleu relatif de la mer pâlira
Quand le temps relatif aussi s'évadera
De cette équation triste où le tiennent des cons
Qu'ils soient mathématiques avec Nobel ou non
C'est alors c'est alors que nous réveillerons

Allende, Allende; Allende !  
(Léo Ferré - 1974)

lundi 9 février 2015

Une immense accumulation de paradoxes.




1
Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de la critique du positivisme classique, s’annonce comme une immense accumulation de paradoxes.

2
Le paradoxe se présente à la fois comme le système même (sujet/sociéte), comme une partie du système, et comme instrument d’unification. En tant que partie du système il est expressément le secteur qui (depuis la révolution quantique) concentre tout regard et toute conscience. Du fait même que ce secteur est séparé , il est le lieu du regard abusé et de la fausse conscience ; et l’unification qu’il accomplit n’est rien d’autre que le langage officiel de la séparation réunifiée.

3
Le paradoxe, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de critique existant. Il constitue le modèle présent de la vie critique dominante. Il est en même temps l’affirmation omniprésente du choix déja fait d’une critique du système monde, et de sa production corollaire. Forme et contenu du paradoxe sont identiquement la justification des conditions et des fins du système existant. Le paradoxe est enfin la présence permanente de cette justification, en tant qu’occupation de la part principale du temps vécu, hors de la critique réelle.

4
Le paradoxe n’est pas seulement un ensemble de critiques, mais un rapport social et historique entre systèmes (sujet/société), médiatisé par des critiques paradoxales. Il ne peut être compris comme l’abus d’un monde critique mais bien comme le produit des techniques de diffusion massive de critiques paradoxales . Il est une critique réellement impuissante, devenue effective, matériellement traduite,. C’est une critique du système monde qui s’objective.

5
Le paradoxe qui inverse le réel est effectivement critique. En même temps que la réalité vécue est matériellement envahie par la contemplation du paradoxe, elle reprend en elle-même l’ordre critique du paradoxe en lui donnant une adhésion positive. Ainsi, la réalité surgit dans le paradoxe, et le paradoxe apparaît réel.

6
Le paradoxe est l’affirmation de l’apparence critique et l’affirmation de toute vie sociale, c’est-à-dire paradoxale comme simple apparence critique. Mais la critique contemporaine qui atteint la vérité du paradoxe le découvre comme la négation visible de la critique ; comme une négation de la critique réelle qui est devenue visible.

7
Pour décrire le paradoxe, sa formation, ses fonctions, et les forces qui tendent à sa réalisation, il faut distinguer artificiellement des enchevêtrements inséparables. En analysant le paradoxe, on parle dans une certaine mesure le langage même du paradoxe , en ceci que l’on passe sur le terrain méthodologique de cette sorte de critique du système (sujet/société) qui s’exprime dans la réification. Mais le paradoxe n’est rien d’autre que le sens de la société qui fonde sa cause sur sa critique, son emploi du temps. C’est le moment historique qui nous contient. Sa chronique.

8
Le paradoxe est le discours ininterrompu que l’ordre du monde tient sur lui-même, son monologue élogieux, une critique supplémentaire — un divin, hydrogène transformé en hélium. Le paradoxe, fétiche, domine notre environnement de ses lois fatales. Il n’est pas le produit nécessaire du développement naturel critique, il est au contraire la forme qui choisit son propre contenu critique.

9
Le paradoxe est l’héritier de toute la faiblesse du projet philosophique de Karl Marx, qui fut une compréhension de l’activité humaine dominée par les catégories de l’idéologie anglaise : l’économie politique devenue paradoxalement religion. Le paradoxe ne critique pas la philosophie de Marx, il philosophise sa critique : il la rend quotidienne. C’est la vie concrète de tous, dégradée en un univers critique de paradoxes infalsifiables.

10
Le paradoxe soumet les hommes vivants dans la mesure où la critique paradoxale de Karl Marx les a totalement soumis. Il est le contraire de l’échange des idées critiques et de la critique des idées de l’échange. Partout où il y a représentation de critique paradoxales, le paradoxe se reconstitue.

11
Le paradoxe exprime ce que tout système (sujet/société) peut faire, mais dans cette expression le permis s’oppose absolument au possible. Il montre ce qu’il est : la puissance aliénée au service de la critique.

13
Le paradoxe se présente comme une nouveau paradigme indiscutable et inaccessible. L’attitude qu’il exige par principe est cette acceptation passive qu’il a déja obtenue par sa manière de critiquer sans réplique, par son monopole de la critique réifiée.


14
Si les besoins sociaux de l’époque où se développe de tel processus critiques ne peuvent trouver de satisfaction que par la pratique du retrait, c’est parce que le paradoxe est une communication unilatérale ; de sorte que sa concentration revient à accumuler dans les mains de l’administration critique, les moyens qui lui permettent de poursuivre son existence. Dans la scission entre la critique positive et la critique paradoxale, c’est bien toujours le même paradoxe qui surgit : la lutte d’une classe pour la légitimité critique.

15
Tout communauté critique et tout matérialisme-pratique se sont dissous au long de ce processus, dans lequel les forces qui ont pu grandir en s’aliénant mutuellement ne se sont pas encore retrouvées. Rien dans l’activité volée de la critique paradoxale ne peut se retrouver dans la soumission à son résultat.

16
Le paradoxe fondé sur l’isolement de la critique est une production circulaire de la critique. Il est le langage commun de l’aliénation de tous les critiqueurs. Il réunit les aliénés mais il les réunit en tant que critiqueurs aliénés.

17
L’aliénation du critiqueur au profit du paradoxe contemplé s’exprime ainsi : moins il critique, plus il vit / moins il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, plus il comprend sa propre existence et son propre désir : le matérialisme-pratique.

18
Le succès de la critique paradoxale, son abondance - abondance de l’absence de matérialisme-pratique - est réification du mouvement dialectique. Dans la boucle étrange que constitue tout paradoxe, le temps et l’espace du critiqueur lui deviennent étrangers. Le paradoxe devient un état réifié, carte d’un nouveau monde qui recouvre exactement son territoire.

19
Le paradoxe est la critique paradoxale réifiée à un tel degré d’accumulation qu’elle devient valeur chronique du Capital .

Point de vue de l’Aranea

    Ils avaient cherché refuge dans ces pierres ancestrales, accumulées les unes sur les autres depuis longtemps, et soudées par la magie d’...