Quelques brefs extraits du remarquable livre
GENEALOGIE DU DIEU ARGENT
publié aux Editions ContreLittérature (Janvier 2023)
" La valeur monétaire d’une chose n’est pas déterminée par le temps de
travail qu’elle nécessite, ni par sa rareté, ni par le besoin qu’on a
d’elle. Si elle l’est, c’est parce que nous donnons une valeur monétaire
à ce temps de travail, à cette rareté, à ce besoin. La valeur monétaire
d’une chose n’existe tout simplement pas. Bien sûr, si l’eau devient
rare, elle prendra beaucoup de valeur, mais cela ne détermine en rien
son prix. C’est nous qui déterminons son prix. Et ce prix va priver tous
ceux qui ne peuvent le payer de cette chose vitale. C’est comme ça
que la valeur monétaire fausse la réalité. La réalité, ce n’est pas que
certains – les riches – ont besoin d’eau. Tout le monde a besoin d’eau.
La réalité, ce n’est pas qu’il est légitime que seuls les riches
boivent. La réalité, c’est qu’il y a peu d’eau et qu’il faut prendre une
décision tous ensemble par rapport à ce fait. L’argent est ce qui nous
prive de décision. Sauf les riches bien sûr. L’argent, c’est quand les riches décident. Décident du prix de l’eau et du reste.
(…)
Les riches vivent dans une réalité illusoire, déconnectée de la vraie
réalité. Par exemple, s’il manque d’eau, ils croient qu’ils ont
légitimement le droit de posséder, d’user et d’abuser de l’eau, parce
qu’ils la payent. La réalité humaine générale du manque d’eau n’a aucune
légitimité pour eux.
La légitimité est tout entière annexée par la légalité économique. L’essence de l’argent est l’annexion du monde par les riches.
L’économie n’est rien d’autre que le traité de stratégie militaire qui permet aux riches d’annexer à l’argent l’esprit des hommes.
(…)
L’argent a dévalisé le monde de tout, de sorte que le monde est vide,
sans intérêt, désenchanté – à moins d’avoir de l’argent. Et quand on a
de l’argent, ce n’est pas pour vivre le monde, qui n’est plus rien sinon
de façon inessentielle, périphérique, mais pour vivre l’argent,
pour participer à la représentation universelle de la richesse. Le
riche est celui qui sent non pas qu’il est riche, car il n’est riche de
rien, sinon de façon inessentielle, périphérique, mais celui qui sent
qu’il représente la richesse.
(…)
C’est seulement après des millénaires de pillage des communautés
existantes, c’est-à-dire le plus souvent, des exploiteurs locaux, que
les marchands se virent contraints de se saisir eux-mêmes de la sphère
de l’exploitation. Et ceci pour une double mais simple raison : ils ont
ruiné tous ceux qu’ils pillaient ; le pullulement de leur classe
prospère les contraint à une concurrence féroce malgré le développement
universel du marché. C’est donc une fois solidement établie la célébrité
de l’argent comme ce qui a seul le pouvoir universel de réaliser la
pensée des choses, une fois la toute-puissance de l’argent bien assurée,
toute-puissance qui consiste uniquement dans la mise en spectacle
millénaire et mondiale de sa toute-puissance, que le capitaliste peut se
lancer lui-même dans l’exploitation en y introduisant le calcul des
coûts de production. Le capitaliste ne peut calculer un coût qu’une fois
que l’argent est bien présent comme idée dans toute chose. C’est
seulement lorsque presque tout a été transformé en marchandises, en
choses qui pensent, que l’exploitation proprement marchande peut
débuter.
(…)
La marchandise, que le salarié convoite, est ce qui permet à la
richesse de se pavaner. La marchandise est ce qui fait briller un temps
la richesse aux yeux de tous les spectateurs ; le temps que s’effectue
l’achat. Aussitôt achetée, la marchandise perd son éclat, perd
totalement ce qui la faisait briller. Prestigieuse derrière la vitrine,
vulgaire dès qu’elle rentre chez le consommateur. Car la richesse
s’échappe de la marchandise, l’abandonne à sa trivialité, à l’instant
même où la transaction s’effectue. Et c’est évidemment l’argent, la richesse jamais satisfaite parce que totalement abstraite,
qui va ensuite permettre de produire de nouvelles marchandises ; c’est
la richesse jamais satisfaite qui va pouvoir continuellement être
réinjectée dans de nouveaux objets pour les faire briller. Et ainsi de
suite.
(…)
Telle est la force corrosive de l’illusion : les riches croient se
protéger de la laideur alors que leur laideur transparaît toujours plus
aux yeux de tous ; conséquemment, les pauvres du monde entier croient de
moins en moins les riches ; moins ils les croient, plus l’alchimie
secrète opère ; plus se reforment les peuples en tant que seule force
universelle capable de ramener le vrai dans le monde."
Renseignez-vous !