lundi 23 décembre 2024

Eloge du Journal ou retour à Mallarmé.

 

« Quant à la critique proprement dite, j’espère que les philosophes comprendront ce que je vais dire :  pour être juste, c’est-à-dire pour avoir sa raison d’être, la critique doit être partiale, passionnée,  politique, c’est-à-dire faite à un point de vue exclusif, mais au point de vue qui ouvre le plus d’horizons ». (Charles Baudelaire, Salon de 1846, in Curiosités esthétiques, Œuvres complètes 1868, p. 77


« Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui / Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre / Ce lac dur oublié que hante sous le givre / Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ? » (Stéphane Mallarmé, Œuvres complètes, Édition Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1998, tome I, p 92)


« Nous ne pouvons vivre que dans l’entrouvert, exactement sur la ligne hermétique de partage de l’ombre et de la lumière. Mais nous sommes irrésistiblement jetés en avant. Toute notre personne prête aide et vertige à cette poussée. » (René CHAR, Dans la marche. OEuvres complètes, Gallimard, « La Pléiade », 1983, p. 410).



A l’instar des surréalistes, puis des situationnistes - qui chacun à leurs façons ont essayé en d’autres contingences de questionner la dimension pratique subversive de la poésie et de l’art - nous aimerions ici questionner la dimension opératoire de la critique radicale. Se réclamer d'une telle veine nécessite l'examen lucide d'une répétion formelle qui ne manque pas d' interroger. Une telle exigence concerne l’histoire du XIXè, du XXe et du XXI siècles. Une telle question peut finalement se réduire à celle de savoir si la critique peut se délivrer de l’apanage du style et de la froideur syntaxique, qui trop souvent donnent la fâcheuse impression de tourner à vide.


Ainsi la poésie de Mallarmé fait-elle «événement de la pensée de l’événement», où affirme-t-elle plutôt que « rien n’aura eu lieu », que le XIXe siècle n’a pas eu lieu. Elle affirmerait ainsi son inutilité face à une série d’échecs révolutionnaires qui n’ont pas été capables d’instaurer la liberté, l’égalité et la fraternité, dont rêvaient tous les adeptes de l'émancipation individuelle et collective depuis 1789. De fait Mallarmé affirme que « rien n’a eu lieu ». Le propos est explicite dans « le Coup de dés », et il est articulé aussi nettement qu’obscurément : «  aucune de ces mémorables crises (crise de vers ou crises sociales) n’a eu lieu. » De cette manière, le vers, comme les dés jetés au hasard, ne sont que dans l’instant : on les lance, ils tournoient et retardent indéfiniment la pose du syntagme conclusif !

 

Serait-ce dès lors la question du rapport entre poésie et prose ? Le XIXè fut le siècle du journal. Le XXIè sera celui du buzz cybernétique et virtuel. La question de savoir si quelque chose pourra véritablement avoir lieu consisterait donc à s'emparer sérieusement de la prose. Mallarme encore une fois le dit : « il n’est pas de prose qui ne soit en dernier ressort langue du journal.». Présenter simplement des faits les plus banals de la vie quotidienne et - comme Benjamin - disséquer à plaisir les passages, les chiffoniers et les sens uniques. Soutenir par les détails une pensée de l’histoire et des événements politiques. Penser les « Grands Faits divers» d’une société en décryptant l'envers de ses aspects structuraux et fondamentaux. La critique et defense mallarméenne du journal est en fait, une défense de la réflexion historique.

 

 


 

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