(Debord,G: Commentaires sur la Société du Spectacle,
Editions Gérard Lébovici, Paris 1988)
30 ans déjà. Et l'inexorable lucidité sur des processus, dont l'auteur français n'a jamais clamé l'exclusivité. Puisque en bon Hegelien, il savait (avec d'autres vieux) que la dialectique de la raison pouvait aussi être "descendante"...
La
société moderne, uniformisée au niveau planétaire depuis
1989 à
travers le modèle libéral de la production-consommation de
Masse,
se caractérise par cinq grands phénomènes qui enlèvent à
tout
groupe, collectif, individu, le moindre pouvoir sur ses
actes, ses
initiatives, ses choix, donc une partie de sa liberté de
citoyen,
tout en lui faisant miroiter la liberté illusoire du
consommateur.
Ces cinq grands traits sont:
-la
fusion économico-étatique : tendance manifeste de ces
dernières
années avec la disparition totale du modèle communiste,
(autre
forme d'organisation dont l’histoire a montré les limites)
et
l'avènement de l'Etat Démocratique Entreprise.
L'alliance
défensive et offensive conclue entre Economie et Etat, leur
assure
les plus grands bénéfices, dilue le pouvoir. Chacune possède
l'autre, il devient absurde de les opposer, et l'individu ne
sait
plus qui lui parle. (Scandale des catastrophes dites
écologiques,
scandale des économies informelles de type maffia, scandale
des
ventes d'armes aux dictatures, scandales
juridico-politico-financiers, scandales de société: sang
contaminé,
exclusions, justice à plusieurs vitesses...)
-la
notion du présent perpétuel: Révolution technologique
sans
précèdent, le passage de la culture de l'écrit (distance
donc
analyse) à la culture de l'image (brute, sans recul,
enivrante parce
que associée au fantasme de l'ubiquité) abolit la notion de
Temps
Historique, Au coeur même de l'information permanente par
l'image,
c'est l'histoire et ses leçons critiques qui est happée par
sa
disparition .Il y a annulation de la durée, du temps
différé, de
l'ailleurs, annulation des causes et des effets, et
centration sur
des évènements s'enchaînant les uns aux autre, vides se
sens, non
articulés. (Paradoxes des images: Paris-Dakar / Somalie,
sport/conflits nationalistes, illusions religieuses /
guerres de
conquêtes, commémorations grandiloquentes / négation du
droit à
l'auto-détermination...)
-le
renouvellement technologique permanent: constitutif de
la société
industrielle puis post-industrielle, il consacre l'avènement
d'un
nouvelle forme de Pouvoir, celui accordé aux experts et aux
spécialistes. .L'individu est ainsi livré aux mains d'hommes
parfois dépourvus de toute conscience critique, mais hyper
spécialisés. L'individu n'est plus citoyen mais objet: son
avenir
est lié à leurs calculs, à leurs prévisions, toujours
statistiques donc incontournables, et à leur conception non
homogénéisée du monde. (Dérapages des neurosciences, de la
bioéthique, des prévisions boursières, de la sondocratie
appliquée à la politique et à l'information, de la
technocratie
type Maastricht...)
-Le
Faux sans réplique: l'absence de toute forme critique
d'organisation du monde, la victoire uniforme du même modèle
(libéral-social-démocrate) rend caduque toute notion
objective du
vrai et du faux. Le VRAI dans le meilleur des cas se trouve
réduit à
l'état d'une hypothèse jamais démontrable, il cesse
d'exister et
donne une qualité toute nouvelle au FAUX qui fait
disparaître peu à
peu l'opinion publique, puis le politique, la justice, etc.
(Doutes
médiatisés de l'honnêteté des politiques, des oeuvres
humanitaires, des nouvelles notions géopolitiques comme
Ordre
Mondial, Ingérence, doute sur la justice, la solidarité)
-le
Secret Généralisé: conséquence logique des quatre
traits
précédents, il se tient derrière l'information permanente,
sans
cesse basculée du Vrai au Faux, masquée par le confort
technologique et l'anonymat des experts. (Non connaissance
des enjeux
planétaires, démographiques, climatiques,
geo-technologiques,
géo-stratégiques, bio-éthiques, des neuro-sciences et de
l'intelligence artificielle)
Ces
cinq grands traits à l'apparence abstraits, éloignés de nous
et de
la réalité matérielle, sont pourtant étroitement imbriqués
les
uns aux autres et rendent:
-les
sources du pouvoir réel (économique et financier) invisibles
donc
incontrôlables ;
-les
origines des conflits floues et systématiquement liées par
les
médias aux conjonctures quand elles relèvent en vérité de la
structure (le marché) et de sa logique (la croissance) ;
-les
groupes de pression concurrents, sclérosés sur leur réalité,
donc
sans cesse en conflits (unité ou démarche propre) quand liés
par
les mêmes préoccupations si finement découpées.
-les
individus écartés les uns des autres, confinés à l'ère du
micro-privé, de "la religion absurde du narcissisme" et de
la conscience politique mineure.
CONSTATS:
CRISE:
Crise économique, crise sociale, crise de l'emploi, crise
des
institutions, crise de l'identité elle même, jusque dans les
retranchements les plus intimes de la vie privée.
REPLI:
Repli des grandes initiatives politiques, économiques, repli
des
couches sociales et des corporations (qui leur ont succédé),
repli
du fonctionnement démocratique lui même, par la montée de
l'abstention lors des élections et la crise de la délégation
politique, repli de l'individu sur l'univers morcelé du
loisirs
narcissique
et
périssable.
IMPLOSION:
Implosion du système et des institutions censées le contenir
(la
délégation politique. la protection sociale, la justice),
implosion
des structures périphériques au pouvoir (les partis
politiques. les
syndicats, les groupes de pressions, .l'information),
implosion des
zones géographiques surpeuplées (les pays de la faim. les
mégalopolis. les banlieues, les getthos de quartier),
implosion des
propres repères de l'individu (crise de confiance,
d'initiative, de
choix ontologique.) j'
RETOUR:
Retour de l'histoire et de ses affres, retour des
nationalismes, du
populisme, voire du tribalisme.retour de l'irrationnel et
des
recettes miracles, retour du religieux. Du miséricordieux,
du
repentir, retour de l'exclusion au nom de la protection,
retour de
"la mort des idées" par individualisme et absence
d’engagement critique.
.'
CRISE,
REPLI, IMPLOSION, RETOUR :
Comme
si ces quatre temps semblaient irréversiblement liés les uns
aux
autres, éléments composites d'un métronome funèbre, rythmant
une
à une les premières années de ce nouveau millénaire,
accompagnant
dans un crescendo de désillusions l'agonie des dernières
grandes
Idées de Progrès, et martelant sur les cymbales
des
grandes catastrophes, l'incessante question du
Devenir, nourrissant au plus profond les vieilles peurs du
syndrome
millénariste. Comme l'élan circulaire d'une force du mal,
dont nous
ne savons plus très bien si nous en sommes l'ordonnateur,
l'exécutant, le sujet, l'objet ou pire encore l'objet
fantasmé.
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