BANALITES DE BASE :
1807
Le terme
visé est le discernement par l'esprit de ce qu'est le savoir.
L'impatience réclame l'impossible, c'est-à-dire d'atteindre le
terme visé sans les moyens. Pour une part, il faut supporter la
longueur de ce chemin - pour une autre part, il faut séjourner
auprès de chacun.
(G-W-F.
Hegel, in Phénoménologie de l'esprit)
1823
L'histoire
mondiale est le progrès dans la conscience de la liberté(...) La
raison a régné et règne dans le monde, et donc aussi dans
l'histoire mondiale.(...) L'histoire et l'expérience enseignent que
les peuples n'ont absolument rien appris de l'histoire (…)
L’histoire n’est pas le terrain du bonheur ; car les
périodes de bonheur sont pour l’histoire des pages vides. (…) La
bravoure des Européens s’est transformée en une belle chevalerie
en Espagne, au contact des Arabes, qui ont également diffusé les
sciences, ainsi que les œuvres classiques des Anciens sur lesquelles
ils ont exercé de l’influence.
(G-W-F.
Hegel, in La Philosophie de l'Histoire)
1843
La
théorie se change [...] en force matérielle dès qu'elle saisit les
masses. La théorie est capable de saisir les masses, dès qu'elle
argumente ad hominem, et elle argumente ad hominem dès qu'elle
devient radicale. Être radical, c'est saisir les choses à la
racine, mais la racine, pour l'homme, c'est l'homme lui-même.(...°
De ce point de vue , la misère religieuse est tout à la fois
l’expression de la misère réelle et la protestation
contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature
accablée, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est
l'esprit d'un état de choses où il n'est point d'esprit. Elle est
l’opium du peuple.
(K.Marx
, in Critique de la philosophie du droit de Hegel)
1871
Je
fais remarquer une fois pour toutes que j'entends par économie
politique classique toute économie qui, à partir de William Petty,
cherche à pénétrer l'ensemble réel et intime des rapports de
production dans la société bourgeoise, par opposition à l'économie
vulgaire qui se contente des apparences, rumine sans cesse pour son
propre besoin et pour la vulgarisation des plus grossiers phénomènes
les matériaux déjà élaborés par ses prédécesseurs, et se borne
à ériger pédantesquement en système et à proclamer comme vérités
éternelles les illusions dont le bourgeois aime à peupler son monde
à lui, le meilleur des mondes possibles(...) Dans un tel contexte,
le capital est du travail mort, qui ne s'anime qu'en suçant
tel un vampire du travail vivant, et qui est d'autant plus vivant
qu'il en suce davantage.
(K.Marx
, in Le Capital-Livre Premier)
1920
Il
est cependant incontestable que la substitution du principe de la
réalité au principe du plaisir n'explique qu'une petite
partie de nos sensations pénibles et seulement les sensations les
moins intenses. Une autre source, non moins régulière, de
sensations désagréables et pénibles est représentée par les
conflits et les divisions qui se produisent dans la vie psychique, à
l'époque où le moi accomplit son évolution vers des organisations
plus élevées et plus cohérentes. (…) Les détails du processus à
la faveur duquel le refoulement transforme une possibilité de
plaisir en une source de déplaisir ne sont pas encore bien compris
ou ne se laissent pas encore décrire avec une clarté suffisante,
mais il est certain que toute sensation de déplaisir, de nature
névrotique, n'est au fond qu'un plaisir qui n'est pas éprouvé
comme tel.
(S
Freud, in Au delà du principe de plaisir)
1922
La plus
grande infamie ici-bas est que personne ne veuille prendre sur soi la
famine des nécessiteux, les grands de ce monde font ce qui leur
plaît (...) Voyez donc, le comble de l'usure, du vol et du
brigandage, voila nos seigneurs et nos princes. Ils s'approprient
toute créature (...) Il faut que tout leur appartienne. Ensuite ils
notifient aux pauvres le commandement de Dieu disant : Dieu l'a
prescrit, tu ne dois point voler ! Mais , pour leur compte, ils ne se
croient pas tenus d'obéir à ce précepte (...) Ils se refusent à
supprimer ce qui provoque la révolte ; comment les choses, à la
longue, iraient-elles mieux ? Mais, si je parle de la sorte, on me
traite de séditieux, allons donc !
(E. Bloch
in Thomas Munzer, théologien de la
révolution)
1923
L'ouvrier
est placé dans son être social immédiatement et complètement du
coté de l'objet : il apparaît immédiatement comme objet et non
comme acteur du processus social du travail.(...) Le caractère
spécifique du travail comme marchandise, qui sans cette conscience
est un moteur inconnu de l'évolution économique, s'objective
lui-même par cette conscience. Mais en se manifestant, l'objectivité
spéciale de cette sorte de marchandise, qui, sous une enveloppe
réifiée, est une relation entre hommes, sous une croûte
quantitative, un noyau qualitatif vivant, permet de dévoiler le
caractère fétichiste de toute marchandise, caractère fondé sur la
force de travail comme marchandise.
(G.
Lukacs, in Histoire et conscience de classe)
1929
La masse
des employés se distingue du prolétariat ouvrier par le fait
qu'elle se trouve spirituellement sans abri. Elle ne peut pour le
moment trouver le chemin qui la conduirait chez les camarades, et la
demeure des concepts et des sentiments bourgeois, où elle résidait,
n'est plus que ruines, car l'évolution économique en a sapé les
fondements. Elle ne dispose actuellement d'aucune doctrine vers
laquelle se tourner, d'aucun but qu'elle puisse interroger. Elle vit
donc dans la crainte de se tourner vers quoi que ce soit, et de
pousser l'interrogation jusqu'à ses dernières conséquences.
(S.
Kracauaer, in
Les Employés : aperçus de l'Allemagne nouvelle)
1932
La
science a beaucoup d'ennemis déclarés, et encore plus d'ennemis
cachés, parmi ceux qui ne peuvent lui pardonner
d'avoir ôté à la foi religieuse sa force et de menacer cette foi
d'une ruine totale. On lui reproche de nous avoir appris bien peu et
d'avoir laissé dans l'obscurité incomparablement davantage. Mais on
oublie, en parlant ainsi, l'extrême jeunesse de la science, la
difficulté de ses débuts, et l'infinie brièveté du laps de temps
écoulé depuis que l'intellect humain est assez fort pour affronter
les tâches qu'elle lui propose.
(S
Freud in L'avenir
d'une Illusion)
1942
Un
tableau de Klee intitulé Angelus Novus représente un ange, qui
donne l'impression de s'apprêter à s'éloigner de quelque chose
qu'il regarde fixement. Il a les yeux écarquillés, la bouche
ouverte, les ailes déployées. L'Ange de l'Histoire doit avoir cet
aspect-là. Il a tourné le visage vers le passé. Là où une chaîne
de faits apparait devant nous, il voit une unique catastrophe dont le
résultat constant est d'accumuler les ruines sur les ruines et de
les lui lancer devant les pieds. Il aimerait sans doute rester,
réveiller les morts et rassembler ce qui a été brisé. Mais une
tempête se lève depuis le Paradis, elle s'est prise dans ses ailes
et elle est si puissante que l'ange ne peut plus les refermer. Cette
tempête le pousse irrésistiblement dans l'avenir auquel il tourne
le dos tandis que le tas de ruine devant lui grandit jusqu'au ciel.
Ce que nous appelons le progrès, c'est cette tempête. "
(W.
Benjamin, in Sur le Concept d'Histoire
1947
La
culture de masse procède avec le tragique comme la société totale
qui se contente d'enregistrer les souffrances de ses membres au lieu
de les abolir. Plus les positions de l'industrie culturelle se
renforcent, plus elle peut agir brutalement envers les besoins des
consommateurs, les susciter, les orienter, les discipliner (…) Dans
le processus de leur production, les images sont pré-censurées
conformément aux normes de l'entendement qui, plus tard, décideront
de la manière dont il faut les regarder
(M.
Horkheimer- T-W. Adorno, in Dialectique de la
raison)
1950
La
disposition à condamner les autres pour des raisons de morale peut
avoir une autre origine : non seulement l'individu autoritaire doit
condamner le laxisme moral qu'il voit chez les autres, mais il est
réellement poussé à voir en eux des attributs immoraux, que cela
soit fondé dans les faits ou non. Il s'agit là d'un autre moyen de
contenir ses propres tendances inhibées; il se dit à lui-même,
pour ainsi dire : "Ce n'est pas moi qui suis mauvais et qui
mérite d'être puni, mais lui.(...) Autrement dit, les propres
impulsions inacceptables de l'individu sont projetées sur d'autres
individus et d'autres groupes qui sont dès lors rejetés."
(T-W.Adorno,
in Etudes sur la personnalité autoritaire)
1951
Celui
qu'une logique trop conséquente rend incapable de donner, fait de
lui-même une chose et se condamne à une froideur glacée. (…) La
frénésie de consommation des produits les plus récents de la
technique, (...) fait accepter la camelote la plus éculée et jouer
le jeu de la stupidité programmée. Ne jamais se demander à quoi
sert un produit, faire comme tout le monde, participer à la
bousculade, voilà qui vient remplacer tant bien que mal les besoins
rationnels. Leur société de masse n'a pas seulement produit la
camelote pour les clients, elle a produit les clients eux-mêmes.
(T-W..Adorno,
in Minima Moralia)
1965
Ce que
Kracauer, en 1930, diagnostiquait comme culture des employés, la
superstructure institutionnelle et psychologique qui, à cette
époque, faisait illusion aux prolétaires à col blanc immédiatement
menacés par la crise, en leur faisant croire qu'ils étaient quelque
chose de meilleur et, ainsi, les retenait à la "perche" de
la bourgeoisie - depuis lors, cette superstructure, dans la
conjecture longtemps persistante, est devenue l'idéologie
universelle d'une société qui se méconnaît elle-même. (…). De
Heidegger et de sa pseudo ontologie, rien ne subsiste hormis le
jargon.
(T-W..Adorno,
in Jargon de l'authenticité)
1964
Ainsi,
avoir la liberté économique devrait signifier être "libéré
de" l'économie, de la contrainte exercée par les forces et les
rapports économiques, être libéré de la lutte quotidienne pour
l'existence, ne plus être obligé de gagner sa vie. Avoir la liberté
politique devrait signifier pour les individus qu'ils sont "libérés
de" la politique sur laquelle ils n'ont pas pas de contrôle
effectif. Avoir la liberté intellectuelle devrait signifier qu'on a
restauré la pensée individuelle, actuellement noyée dans la
communication de masse, victime de l'endoctrinement, signifier qu'il
n'y a plus de faiseurs d' "opinion publique" et plus
d'opinion publique. Si ces propositions ont un ton irréaliste, ce
n'est pas parce qu'elles sont utopiques, c'est que les forces qui
s'opposent à leur réalisation sont puissantes.
(H
Marcuse, in l'Homme unidimensionnel)
1966
La
critique du privilège devient un privilège : tant le train du monde
est dialectique. Ce serait une fiction de supposer que, dans des
conditions sociales, particulièrement de l'éducation, qui brident,
arrangent et estropient de maintes manières les forces productives
spirituelles, qu'avec l'indigence qui règne dans le domaine de
l'imagination et les processus pathogènes de la petite enfance
diagnostiqués par la psychanalyse mais cependant nullement modifié
en réalité, tous pourraient tout comprendre ou au moins se rendre
compte.
(T-W..Adorno,
in Dialectique négative)
1970
Que
ce soit dans une philosophie du sujet fondateur, dans une philosophie
de l'expérience originaire ou dans une philosophie de l'universelle
médiation, le discours n'est rien de plus qu'un jeu, d'écriture
dans le premier cas, de lecture dans le second, d'échange dans le
troisième, et cet échange, cette lecture, cette écriture ne
mettent jamais en jeu que les signes. Le discours s'annule ainsi,
dans sa réalité, en se mettant à l'ordre du signifiant.
(M
Foucault, in L'ordre ud discours)
1976
Marx
commente Aristote comme si ce dernier s'était proposé de résoudre
la question quantitative de la valeur d'échange. Mais la question
que se pose Aristote est beaucoup plus profonde et va beaucoup plus
loin -et c' est une question que Marx croit pouvoir par moment
éliminer en se référant « aux lois de l'histoire »(...)
La question d'Aristote est la l'énigme du fondement de la communauté
politique : koinomia (société) au croisement de
païdéïa (création d'individus sociaux) dikalosuné
(justice) et allagé (échange) mais comme indissociation des
troisiprincipes
(C
Castoriadis in Carrefour du Labyrinthe – T1)
1976
C'est
la guerre qui est le moteur des institutions et de l'ordre : la
paix, dans le moindre de ses rouages, fait sourdement la guerre.
Autrement dit, il faut déchiffrer la guerre sous la paix : la
guerre, c'est le chiffre même de la paix. Nous sommes donc en guerre
les uns contre les autres ; un front de bataille traverse la
société tout entière, continûment et en permanence, et c'est ce
front de bataille qui place chacun de nous dans un camp ou dans un
autre. Il n'y a pas de sujet neutre. On est forcément l'adversaire
de quelqu'un.
(M
Foucault in Il faut défendre la société
1978
L'usage
que le public des lecteurs faisait de sa raison tend à s’effacer
au profit des simples "opinions sur le goût et l'attirance"
qu'échangent des consommateurs; et même le fait de parler de ce
qu'on a consommé, cette "contre-épreuve des expériences du
goût", est intégré au processus de consommation même.
(J
Habermas in L'Espace Public)
2005
Quand la
raison critique se tait, c’est la haine meurtrière qui prend sa
place. Alors, le caractère objectivement intenable du mode de
production et du mode de vie dominants se traduit dès lors d’une
façon non plus rationnelle mais irrationnelle. C’est ainsi que le
recul de la théorie critique fut suivi par l’avancée du
fondamentalisme religieux et ethno-raciste. Tant que la critique du
capitalisme (sous sa forme radicale et émancipatrice) ne renaîtra
pas, les accès de paranoïa sociale et idéologique seront la seule
et unique aune permettant de mesurer le degré atteint par les
contradictions de la société mondiale.
(R Kurz,
in Avis aux naufragés)