"Une des difficultés de la lutte politique aujourd'hui, c'est que les
dominants, technocrates ou épistémocrates de droite ou de gauche, ont
partie liée avec la raison et l'universel : on se dirige vers des univers
dans lesquels il faudra de plus en plus de justifications techniques,
rationnelles pour dominer et dans lesquels, les dominés, eux aussi
,pourront et devront de plus en plus se servir de la raison pour se
défendre contre la domination, puisque les dominants devront de plus en
plus invoquer la raison, et la science, pour exercer leur domination. Ce
qui fait que les progrès de la raison iront sans doute de pair avec le
développement de formes hautement rationalisées de domination (comme on
voit, dès aujourd'hui, avec l'usage qui est fait d'une technique comme
le sondage, et que la sociologie, seule en mesure de porter au jour ces
mécanismes, devra plus que jamais choisir entre le parti de mettre ses
instruments rationnels de connaissance au service d’une domination
toujours plus rationnelle ou d’analyser rationnellement la domination et
tout spécialement la contribution que la connaissance peut apporter à
la domination."
Pierre Bourdieu, in Intérêt et désintéressement,
cours du Collège de France à la Faculté d'Anthropologie et de
Sociologie de l'Université Lumière Lyon 2, les 1er et 8 décembre 1988 in
Cahiers de Recherche n° 7, nouvelle publication 1er trimestre 1993,
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