mercredi 2 mars 2016

Retour à Hegel

 
Dans sa leçon inaugurale au Collège de France du 2 Décembre 1970, Michel Foucault déclare que " toute notre époque que ce soit par la logique ou par l'épistémologie, que ce soit par Marx, Nietzsche ou Freud, essaie d'échapper à Hegel ".

Alors qu' en 1985 dans le tome 3 de son ouvrage "Temps et récit, Le temps retrouvé", Paul Ricoeur invitait à "définitivement renoncer à Hegel", les travaux d'Axel Honneth autour du concept de lutte pour la reconnaissance, commencés en 1989 pour un retour au fondamentaux de l'Ecole de Francfort, font écrire au même Ricoeur en 2004 ce passage fondamental :

"Dans la Phénoménologie de l'Esprit d'abord, puis dans l'Encyclopédie, il y a toute une description de ce que l'on pourrait appeler l'homme du désir. En particulier cet admirable thème de la Phénoménologie de l'Esprit, que le désir humain n'est pas le désir animal, parce qu'il est désir d'un autre désir : ce désir du désir engendre un problème dans la mesure où il passe par le langage, où il devient comme dirait Jacques Lacan, demande à l'autre. Là se noue le problème de ce que Hegel a nommé la le problème de la reconnaissance. L'homme veut reconnaître un autre humain dans cette réciprocité du désir." 1

Cette question de la réciprocité du désir comme vecteur structurant de la construction de soi parmi les autres,  est aussi finalement la préoccupation de René Girard dans toute son oeuvre: il l'appellera de son côté le désir mimétique.  Reprenant à Aristote l'idée  que "L'homme diffère des autres animaux en ce qu'il est le plus apte à l'imitation", puis à  Freud l'idée que  le propre de l'Homme est le désir - centre de toutes les structurations et déstructurations psychiques -  Girard en rassemblant les deux prédicats, développe le concept de désir mimétique, qui est l'interférence immédiate du désir imitateur et du désir imité. En d’autres termes, ce que le désir imite est le désir de l’autre, le désir lui-même. L'exemple, donné par René Girard d'enfants qui se disputent des jouets semblables en quantité suffisante, conduit à reconnaître que le désir mimétique est sans sujet et sans objet, puisqu'il est toujours imitation d'un autre désir et que c'est la convergence des désirs qui définit l'objet du désir et qui déclenche des rivalités, où les modèles se transforment en obstacles et les obstacles en modèles.

" L'homme désire toujours selon le désir de l'Autre  et le désir mimétique confine à un conflit tragico-comique dont les protagonistes deviennent interchangeables et transformés en « doubles » symétriques, « en miroirs» dans une relation duale de la rivalité mimétique qui conduit à la violence mimétique".2

Lutte pour la reconnaissance et rivalité mimétique ne sont finalement que deux modélisations distinctes de la vieille dialectique hegelienne du Maître et de l'Esclave. C'est la perspective qui change : du côté de Honneth, ce processus de lutte peut et doit être contenu par un volontarisme du Politique et de l'institution. De l'autre chez René Girard, la violence est inéluctable et seul le symbolique peut temporairement contenir la logique de l'ordre sacrificiel, invariant anthropologique de l'humanité.
Retour à Hegel donc. Puisque sur le plan logique il convient bien de dialectiser ces deux perspectives Pour conjointement réussir à l'émancipation individuelle et la praxis collective. Or dès 1923 G. Lukaks nous avait bien montré l'origine du malaise : 

« L’essence de la structure marchande a déjà été souvent soulignée ; elle repose sur le fait qu’un rapport, une relation entre personnes prend le caractère d’une chose, et, de cette façon, d’une « objectivité illusoire » qui, par son système de lois propre, rigoureux, entièrement clos et rationnel en apparence, dissimule toute trace de son essence fondamentale : la relation entre les hommes 3»

Finalement c'est peut être de l'illusion des fétiches – dont celui du savoir entretenu par l'école – dont il s 'agirait de réfléchir en hegelien.




1Ricoeur (P) : Parcours de la Reconnaissance, Le Seuil, 2004, p 253-272
2Girard (R) : Les origines de la culture, Desclée de Brouwer, p. 53.
3Lukács (G), Histoire et conscience de classe, Editions de Minuit, Paris, 1970, p.110

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