Dans
sa leçon inaugurale au Collège de France du 2 Décembre 1970,
Michel Foucault déclare que " toute notre époque que ce
soit par la logique ou par l'épistémologie, que ce soit par Marx,
Nietzsche ou Freud, essaie d'échapper à Hegel ".
Alors
qu' en 1985 dans le tome 3 de son ouvrage "Temps et récit,
Le temps retrouvé", Paul Ricoeur invitait à
"définitivement renoncer à Hegel", les travaux
d'Axel Honneth autour du concept de lutte pour la reconnaissance,
commencés en 1989 pour un retour au fondamentaux de l'Ecole de
Francfort, font écrire au même Ricoeur en 2004 ce passage
fondamental :
"Dans
la Phénoménologie de l'Esprit d'abord, puis dans l'Encyclopédie,
il y a toute une description de ce que l'on pourrait appeler l'homme
du désir. En particulier cet admirable thème de la Phénoménologie
de l'Esprit, que le désir humain n'est pas le désir animal, parce
qu'il est désir d'un autre désir : ce désir du désir engendre un
problème dans la mesure où il passe par le langage, où il devient
comme dirait Jacques Lacan, demande à l'autre. Là se noue le
problème de ce que Hegel a nommé la le problème de la
reconnaissance. L'homme veut reconnaître un autre humain dans cette
réciprocité du désir." 1
Cette
question de la réciprocité du désir comme vecteur structurant de
la construction de soi parmi les autres, est aussi finalement
la préoccupation de René Girard dans toute son oeuvre: il
l'appellera de son côté le désir mimétique. Reprenant à
Aristote l'idée que "L'homme
diffère des autres animaux en ce qu'il est le plus apte à
l'imitation",
puis à Freud l'idée que le propre de l'Homme est le
désir - centre de toutes les structurations et déstructurations
psychiques - Girard en rassemblant les deux prédicats,
développe le concept de désir mimétique, qui est l'interférence
immédiate du désir imitateur et du désir imité. En d’autres
termes, ce que le désir imite est le désir de l’autre, le désir
lui-même. L'exemple,
donné par René Girard d'enfants qui se disputent des jouets
semblables en quantité suffisante, conduit à reconnaître que le
désir mimétique est sans sujet et sans objet, puisqu'il est
toujours imitation d'un autre désir et que c'est la convergence des
désirs qui définit l'objet du désir et qui déclenche des
rivalités, où les modèles se transforment en obstacles et les
obstacles en modèles.
" L'homme désire toujours selon le désir de l'Autre et le désir mimétique confine à un conflit tragico-comique dont les protagonistes deviennent interchangeables et transformés en « doubles » symétriques, « en miroirs» dans une relation duale de la rivalité mimétique qui conduit à la violence mimétique".2
Lutte
pour la reconnaissance et rivalité mimétique ne sont finalement que
deux modélisations distinctes de la vieille dialectique hegelienne
du Maître et de l'Esclave. C'est la perspective qui change : du
côté de Honneth, ce processus de lutte peut et doit être contenu
par un volontarisme du Politique et de l'institution. De l'autre chez
René Girard, la violence est inéluctable et seul le symbolique peut
temporairement contenir la logique de l'ordre sacrificiel, invariant
anthropologique de l'humanité.
Retour
à Hegel donc. Puisque sur le plan logique il convient bien de
dialectiser ces deux perspectives Pour conjointement réussir à
l'émancipation individuelle et la praxis collective. Or dès 1923 G.
Lukaks nous avait bien montré l'origine du malaise :
« L’essence
de la structure marchande a déjà été souvent soulignée ;
elle repose sur le fait qu’un rapport, une relation entre personnes
prend le caractère d’une chose, et, de cette façon, d’une
« objectivité illusoire » qui, par son système de lois
propre, rigoureux, entièrement clos et rationnel en apparence,
dissimule toute trace de son essence fondamentale : la relation
entre les hommes 3»
Finalement
c'est peut être de l'illusion des fétiches – dont celui du savoir
entretenu par l'école – dont il s 'agirait de réfléchir en
hegelien.
1Ricoeur
(P) : Parcours de la Reconnaissance, Le Seuil, 2004, p
253-272
2Girard
(R) : Les origines de la culture, Desclée de Brouwer,
p. 53.
3Lukács
(G), Histoire et conscience de classe, Editions de Minuit,
Paris, 1970, p.110
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