mercredi 23 octobre 2013

A propos de la richesse





Autant que les phases de création,  les phases de de décomposition d'une société sont inexplicables. A Athènes, au VIè-Vè siècle avant J.C., on  a la création de la Démocratie, l'apparition des grands poètes tragiques, et une foule de créations extraordinaire sur le plan de la société civile. 400 ans plus tard, c'est déjà fini  et il n'y a par exemple plus aucun grand poète.  Pourquoi ? Certes la guerre du Péloponnèse et la défaite athénienne jouent certainement un grand rôle. Pourtant Thucydide écrit des pages immortelles sur la corruption généralisée et entre autre celle du langage,  dont les mots se mettent  à signifier le contraire de ce qu'ils signifiaient au départ, et à être utilisés dans des sens contradictoires en  fonction du contexte et de la place de celui ou celle qui les prononcent. Mais la défaite ne suffit pas pour expliquer  pourquoi  le "Démos",  le peuple n'est plus le même.  

De même que l'enlisement dans ce qu'on appelle la crise, ne peut suffire comme seule explication. Pourquoi les individus comme les sociétés perdent-ils leur pouvoir de création ? La période contemporaine est particulièrement troublante de ce point de vue : il y a eu tous ces mouvements d'émancipation en deux siècles : le mouvement ouvrier plus ou moins confisqué par le marxisme, puis le marxisme qui s'est lui même scindé en courants opposés et contradictoires:  le bolchévisme a donné le goulag, et la social-démocratie s'est prostituée au capital.  Le résultat est que la passion, l'énergie de ceux qui ont cru en ces idées, se sont évanouies au fur et à mesure que leur rêve s'altérait.

La participation est en partie liée à la force de la conviction, à quelque chose qui s'apparente de près à la croyance. C'est aussi une question de volonté. Et les deux sont inséparables  dans le domaine politique. L'histoire humaine est toute entière création. L'apparition de nouvelles formes sociales-historiques n'est pas prédictible, car elle n'est ni productible, ni  déductible de ce qui la précède. Un "sociologue-éthnologue-psychanalyste martien" qui aurait atterri en en 850 avant J. C. n'aurait certainement pas pu prédire la démocratie athénienne. Ni  en 1780 prédire la révolution française. Or dire que ces formes résultent d'une création non déterminée des êtres humains, signifie que leur création apparaît, du point de vue de la logique habituelle, comme un cercle vicieux. Ce n'est pas le paysan  vénérant son seigneur qui participe aux mouvements qui précèdent et suivent la nuit du 4 août. En même temps qu'il y a un mouvement collectif, les individus se transforment, et en même temps qu'ils changent, émerge un mouvement collectif. 

Il n'y a pas de sens à demander lequel précède l'autre : les deux présuppositions dépendent l'une de l'autre et sont crées en même temps.  Il est vrai  que les gens aujourd'hui ne croient plus à la possibilité d'une action de leur part  sur le Politique.  Ils ne  croient pas  parce qu'il ne veulent pas le croire, et ils ne veulent pas le croire parce que ils ne croient pas. Mais si jamais ils se mettent à le vouloir, alors ils croiront et ils pourront... Refuser tout fatalisme.Toute vie permet à un moment donné de comprendre que les significations historiques du monde dans lequel nous évoluons, n'ont pas de "source absolue", que leur véritable source est notre propre activité créatrice de sens. Une seule exigence de lucidité : nous sommes mortels ! 

La tâche d'un homme libre est donc de se savoir perdu dans ce monde à priori vide de sens mais de construire avec les autres quelque chose qui ait de la signification. Il n'y a pas de sens immanent dans  l'histoire , il n'y aura que le sens (ou le non sens) que nous serons capable de de créer. Les gens qui se faisaient tuer sur une barricade ou dans un mouvement de résistance le savaient : “c'est le fait que je me bats qui a un sens , non pas le fait que dans deux siècles ou plus il y aura une  société parfaite ”. Le Vieux Georges Bataille nous le rappelle avec clairvoyance lorsqu'il écrivait: 

 “ Chaque fois que le sens d’un débat dépend de la valeur fondamentale du mot utile,  c’est à dire chaque fois qu’une question essentielle touchant la vie des sociétés humaines est abordée, quelles que soient les personnes qui interviennent et quelles que soient les opinions représentées, il est possible d’affirmer que le débat est nécessairement faussé et que la question fondamentale est éludée. Il n’existe en effet aucun moyen correct, étant donné l’ensemble plus ou moins divergent des conceptions actuelles, qui permette de définir ce qui est utile aux hommes. Cette lacune est suffisamment marquée par le fait qu’il est constamment nécessaire de recourir de la façon la plus injustifiable à des principes que l’on cherche à situer au-delà de l’utile et du plaisir : l’honneur et le devoir sont hypocritement employés dans des combinaisons d’intérêt pécuniaire et, sans parler de Dieu, l’Esprit sert à masquer le désarroi intellectuel des quelques personnes qui refusent d’accepter un système ouvert.”

(Georges Bataille, La notion de dépense, in la Critique Sociale,   Paris, Janvier 1933)






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