Autant que les phases de
création, les phases de de décomposition
d'une société sont inexplicables. A Athènes, au VIè-Vè siècle avant J.C.,
on a la création de la Démocratie,
l'apparition des grands poètes tragiques, et une foule de créations
extraordinaire sur le plan de la société civile. 400 ans plus tard, c'est déjà
fini et il n'y a par exemple plus aucun
grand poète. Pourquoi ? Certes la guerre
du Péloponnèse et la défaite athénienne jouent certainement un grand rôle.
Pourtant Thucydide écrit des pages immortelles sur la corruption généralisée et
entre autre celle du langage, dont les
mots se mettent à signifier le contraire
de ce qu'ils signifiaient au départ, et à être utilisés dans des sens
contradictoires en fonction du contexte
et de la place de celui ou celle qui les prononcent. Mais la défaite ne suffit
pas pour expliquer pourquoi le "Démos", le peuple n'est plus le même.
De même que l'enlisement dans ce qu'on appelle
la crise, ne peut suffire comme seule explication. Pourquoi les individus comme les
sociétés perdent-ils leur pouvoir de création ? La période contemporaine est
particulièrement troublante de ce point de vue : il y a eu tous ces mouvements
d'émancipation en deux siècles : le mouvement ouvrier plus ou moins confisqué
par le marxisme, puis le marxisme qui s'est lui même scindé en courants opposés et contradictoires: le bolchévisme a donné le
goulag, et la social-démocratie s'est prostituée au capital. Le résultat est que la passion, l'énergie
de ceux qui ont cru en ces idées, se sont évanouies au fur et à mesure que
leur rêve s'altérait.
La participation est en partie
liée à la force de la conviction, à quelque chose qui s'apparente de près à la
croyance. C'est aussi une question de volonté. Et les deux sont
inséparables dans le domaine politique.
L'histoire humaine est toute entière création. L'apparition de nouvelles formes
sociales-historiques n'est pas prédictible, car elle n'est ni productible, ni
déductible de ce qui la précède. Un
"sociologue-éthnologue-psychanalyste martien" qui aurait atterri en
en 850 avant J. C. n'aurait certainement pas pu prédire la démocratie
athénienne. Ni en 1780 prédire la
révolution française. Or dire que ces formes résultent d'une création non
déterminée des êtres humains, signifie que leur création apparaît, du point de
vue de la logique habituelle, comme un cercle vicieux. Ce n'est pas le
paysan vénérant son seigneur qui
participe aux mouvements qui précèdent et suivent la nuit du 4 août. En même
temps qu'il y a un mouvement collectif, les individus se transforment, et en
même temps qu'ils changent, émerge un mouvement collectif.
Il n'y a pas de sens
à demander lequel précède l'autre : les deux présuppositions dépendent l'une de
l'autre et sont crées en même temps. Il
est vrai que les gens aujourd'hui ne
croient plus à la possibilité d'une action de leur part sur le Politique. Ils ne
croient pas parce qu'il ne
veulent pas le croire, et ils ne veulent pas le croire parce que ils ne croient
pas. Mais si jamais ils se mettent à le vouloir, alors ils croiront et ils pourront... Refuser tout fatalisme.Toute vie
permet à un moment donné de comprendre que les significations historiques du
monde dans lequel nous évoluons, n'ont pas de "source absolue", que
leur véritable source est notre propre activité créatrice de sens. Une seule
exigence de lucidité : nous sommes mortels !
La tâche d'un homme libre est donc de se savoir perdu dans ce monde à priori vide de sens mais de construire avec les autres quelque chose qui ait de la signification. Il n'y a pas de sens immanent dans l'histoire , il n'y aura que le sens (ou le non sens) que nous serons capable de de créer. Les gens qui se faisaient tuer sur une barricade ou dans un mouvement de résistance le savaient : “c'est le fait que je me bats qui a un sens , non pas le fait que dans deux siècles ou plus il y aura une société parfaite ”. Le Vieux Georges Bataille nous le rappelle avec clairvoyance lorsqu'il écrivait:
“ Chaque fois que le sens d’un débat dépend de la valeur fondamentale du mot utile, c’est à dire chaque fois qu’une question essentielle touchant la vie des sociétés humaines est abordée, quelles que soient les personnes qui interviennent et quelles que soient les opinions représentées, il est possible d’affirmer que le débat est nécessairement faussé et que la question fondamentale est éludée. Il n’existe en effet aucun moyen correct, étant donné l’ensemble plus ou moins divergent des conceptions actuelles, qui permette de définir ce qui est utile aux hommes. Cette lacune est suffisamment marquée par le fait qu’il est constamment nécessaire de recourir de la façon la plus injustifiable à des principes que l’on cherche à situer au-delà de l’utile et du plaisir : l’honneur et le devoir sont hypocritement employés dans des combinaisons d’intérêt pécuniaire et, sans parler de Dieu, l’Esprit sert à masquer le désarroi intellectuel des quelques personnes qui refusent d’accepter un système ouvert.”
La tâche d'un homme libre est donc de se savoir perdu dans ce monde à priori vide de sens mais de construire avec les autres quelque chose qui ait de la signification. Il n'y a pas de sens immanent dans l'histoire , il n'y aura que le sens (ou le non sens) que nous serons capable de de créer. Les gens qui se faisaient tuer sur une barricade ou dans un mouvement de résistance le savaient : “c'est le fait que je me bats qui a un sens , non pas le fait que dans deux siècles ou plus il y aura une société parfaite ”. Le Vieux Georges Bataille nous le rappelle avec clairvoyance lorsqu'il écrivait:
“ Chaque fois que le sens d’un débat dépend de la valeur fondamentale du mot utile, c’est à dire chaque fois qu’une question essentielle touchant la vie des sociétés humaines est abordée, quelles que soient les personnes qui interviennent et quelles que soient les opinions représentées, il est possible d’affirmer que le débat est nécessairement faussé et que la question fondamentale est éludée. Il n’existe en effet aucun moyen correct, étant donné l’ensemble plus ou moins divergent des conceptions actuelles, qui permette de définir ce qui est utile aux hommes. Cette lacune est suffisamment marquée par le fait qu’il est constamment nécessaire de recourir de la façon la plus injustifiable à des principes que l’on cherche à situer au-delà de l’utile et du plaisir : l’honneur et le devoir sont hypocritement employés dans des combinaisons d’intérêt pécuniaire et, sans parler de Dieu, l’Esprit sert à masquer le désarroi intellectuel des quelques personnes qui refusent d’accepter un système ouvert.”
(Georges Bataille, La notion de dépense, in la Critique Sociale, Paris, Janvier 1933)
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