mercredi 23 octobre 2013

La dialective négative à l'oeuvre dans les sciences.






« Quand à l’autre aspect du devenir de l’esprit (l’Histoire), c’est le devenir qui sait - ou connaît et qui se médiatise : c’est l’esprit aliéné ou extériorisé dans le temps. Mais cette aliénation ou extériorisation est tout autant aliénation ou extériorisation d’elle même. »

(G.W.F. Hegel : Phénoménologie de l’esprit, Paris, Gallimard - Tel, 1981) 


Depuis l’adoption définitive (avec Galilée et Descartes) de la méthode hypothético-déductive comme processus cognitif dominant dans la construction de savoirs objectifs, le sujet humain, dont Kant affirmait qu’ainsi « il ne serait plus tenu en laisse par la nature », est représenté comme un sujet totalisant, dont la capacité réflexive associée à celle d’analyse, permet une maîtrise sur les objets (ou ensembles de causes) qui l’entourent. 

Parler d' attitude ou de posture scientifiques questionne donc la séparation entre les notions de sujet et d’objet, mais au delà, le statut d’autorité du discours scientifique construit par un sujet, (lui même condamné à l’incomplétude) et la croyance dans le (ou les) discours de la science.


Un étonnant paradoxe gît au sein même de la pratique scientifique et de son analyse historique : pratiquée par un sujet (ou ensemble de)  sur un objet (ou ensemble de), se rappelant sans cesse à la rigueur positive (héritée de Bachelard puis Popper), elle emploie pourtant avec un étonnant sens de la polysémie les deux termes SUJET/OBJETS, pour parler d’elle même : « singularité du sujet scientifique », « objet de recherche », etc...


K Popper tient la science pour « un code contextualisé  dans un espace-temps donné. Il indique par là, que cette séparation entre sujet et objet, apparue comme moment fondateur de la modernité, (au sens où il s’agissait d’émanciper la nature humaine) est aujourd’hui davantage un argument d’autorité (tant au sens psychosociologique du terme qu’ à sa dimension épistémologique) qu’une réalité. Tout se passe comme si construisant la connaissance d’une communauté de semblables, le scientifique distinguait ceux qui y contribuent de ceux qui n’y contribuent point, tout en restant aveugle de sa propre posture face çà ses semblables. Celà en vue d’asseoir une forme d’autorité et de pouvoir sur eux. 

De son côté, interrogeant cette question du pouvoir par le discours,  I. Stengers ou J.P. Dupuy  montrent qu’il  s’agirait alors de décrire l’activité intuitivement passionnée du scientifique pour comprendre son rapport au savoir, comme un biais de son propre rapport au Pouvoir. L’autorité de compétence d’un chercheur n’exclut en rien sa part de subjectivité. Tout scientifique s’adresse de fait à d’autres sujets humains comme lui : ce qui le motive c’est la construction de liens autours d’objets. L’enjeu du pouvoir au sein des communautés scientifiques renvoie donc au débat politique et notamment à la question enchevêtrée de la Valeur/Domination..


Ce qui semble confirmé par la tradition de la « raison oraculaire » du discours scientifique, de l’ordre qu’il installe dans et autour de sa communauté et des croyances que cette raison oraculaire génère. La division et la classification des sciences (processus qui s’est accélérée au cours des XIXè et XXè siécles) répond-elle à une raison objective du point de vue des disciplines ? Où le contexte sociétal dans lequel elles prennent place les entraîne-t-elles vers une logique utilitariste, qu’en leur temps T. Adorno et M. Horkheimer avaient dénoncé, pointant même  la logique d’une dialectique  négative : la raison instrumentale, outil du logos déshumanise le sujet, désymbolise leurs relations, et à travers la double dimension du travail concret/abstrait (développé par Marx) aliène la conscience jusqu'à un point limite dénué d'éthos.

Il y a donc bien là un objet qui fait obstacle, qui échappe, au discours de la science devenue idéologie et qui ce faisant, pousse le sujet à ses limites. L’esprit libérateur, émancipateur, voire subversif de la science serait donc, dans sa capacité à amener le sujet à conjointement :

- mener la propre autocritique de son attitude scientifique ;

- accepter la dimension de point aveugle que constitue sa posture au sein du champ ;

- renoncer à l’idée de clôture du champ, dans lequel se déploie son objet d’étude ;

Y -aura-t''il un jour - comme le souhaitaient les Encyclopédistes - pleine lumière en l’une des sciences ?  Ou au contraire toute construction scientifique (aussi codée soit-elle) n’aspire-t-elle pas à l’idée de clôture opérationnelle, de science toute puissante, de raison arraisonnante, niant la part aveugle le manque structurel réel et symbolique) de  celui ou celle qui l’énonce et la déclame ?

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