« Quand
à l’autre aspect du devenir de l’esprit (l’Histoire), c’est
le devenir qui sait - ou connaît et qui se médiatise : c’est
l’esprit aliéné ou extériorisé dans le temps. Mais cette
aliénation ou extériorisation est tout autant aliénation ou
extériorisation d’elle même. »
(G.W.F.
Hegel : Phénoménologie de l’esprit, Paris, Gallimard - Tel, 1981)
Depuis
l’adoption définitive (avec Galilée et Descartes) de la méthode
hypothético-déductive comme processus cognitif dominant dans la
construction de savoirs objectifs, le sujet humain, dont Kant
affirmait qu’ainsi « il ne serait plus tenu en laisse par
la nature », est représenté comme un sujet totalisant,
dont la capacité réflexive associée à celle d’analyse, permet
une maîtrise sur les objets (ou ensembles de causes) qui
l’entourent.
Parler d' attitude ou de posture scientifiques questionne donc la
séparation entre les notions de sujet et d’objet, mais au delà,
le statut d’autorité du discours scientifique construit par un
sujet, (lui même condamné à l’incomplétude) et la croyance dans
le (ou les) discours de la science.
Un étonnant
paradoxe gît au sein même de la pratique scientifique et de son
analyse historique : pratiquée par un sujet (ou ensemble de)
sur un objet (ou ensemble de), se rappelant sans cesse à la rigueur
positive (héritée de Bachelard puis Popper), elle emploie pourtant avec un
étonnant sens de la polysémie les deux termes SUJET/OBJETS, pour parler d’elle
même : « singularité du sujet scientifique », « objet
de recherche », etc...
K
Popper
tient la science pour « un code
contextualisé dans un espace-temps donné.
Il indique par là, que cette séparation entre sujet et objet,
apparue comme moment fondateur de la modernité, (au sens où il
s’agissait d’émanciper la nature humaine) est aujourd’hui
davantage un argument d’autorité (tant au sens psychosociologique
du terme qu’ à sa dimension épistémologique) qu’une réalité.
Tout se passe comme si construisant la connaissance d’une
communauté de semblables, le scientifique distinguait ceux qui y
contribuent de ceux qui n’y contribuent point, tout en restant
aveugle de sa propre posture face çà ses semblables. Celà en vue
d’asseoir une forme d’autorité et de pouvoir sur eux.
De son
côté, interrogeant cette question du pouvoir par le discours,
I. Stengers ou J.P. Dupuy montrent qu’il s’agirait alors de
décrire l’activité intuitivement passionnée du scientifique pour comprendre
son rapport au savoir, comme un biais de son propre rapport au Pouvoir. L’autorité de compétence d’un
chercheur n’exclut en rien sa part de subjectivité. Tout
scientifique s’adresse de fait à d’autres sujets humains comme
lui : ce qui le motive c’est la construction de liens autours
d’objets. L’enjeu du pouvoir au sein des communautés
scientifiques renvoie donc au débat politique et notamment à la question enchevêtrée de la Valeur/Domination..
Ce qui semble
confirmé par la tradition de la « raison
oraculaire » du discours scientifique,
de l’ordre qu’il installe dans et autour de sa communauté et des
croyances que cette raison oraculaire génère. La division et la
classification des sciences (processus qui s’est accélérée au
cours des XIXè et XXè siécles) répond-elle à une raison
objective du point de vue des disciplines ? Où le contexte sociétal
dans lequel elles prennent place les entraîne-t-elles vers une
logique utilitariste,
qu’en leur temps T. Adorno et M. Horkheimer avaient dénoncé, pointant même la logique d’une dialectique négative :
la raison instrumentale, outil du logos déshumanise le sujet,
désymbolise leurs relations, et à travers la double dimension du travail
concret/abstrait (développé par Marx) aliène la conscience jusqu'à un
point limite dénué d'éthos.
Il y a donc bien
là un objet qui fait obstacle, qui échappe, au discours de la
science devenue idéologie et qui ce faisant, pousse le sujet à
ses limites. L’esprit libérateur, émancipateur, voire subversif
de la science serait donc, dans sa capacité à amener le sujet à
conjointement :
- mener la
propre autocritique de son attitude scientifique ;
- accepter la
dimension de point aveugle que constitue sa posture au sein du champ ;
- renoncer à
l’idée de clôture du champ, dans lequel se déploie son objet
d’étude ;
Y -aura-t''il un jour - comme le
souhaitaient les Encyclopédistes - pleine lumière en l’une des
sciences ? Ou au contraire toute construction scientifique (aussi
codée soit-elle) n’aspire-t-elle pas à l’idée de clôture
opérationnelle, de science toute puissante, de
raison arraisonnante, niant la part aveugle le manque structurel réel et symbolique) de celui ou
celle qui l’énonce et la déclame ?
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