mercredi 23 octobre 2013

Personne ne connaît le coeur secret des horloges.

 


La pluie comme une buée au miroir de l'éthique. Il est 8 h 30. Je monte dans un véhicule à moteur de couleur bleue marine Le bitume dévore les kilomètres et nos propos sibyllins. Nous sommes quatre, deux hommes, deux femmes, et roulons vers une destination géométriquement repérable: les certitudes de l'amour pour l'une, les raisons inconscientes du sang pour l'autre, la  dérisoire participation au refus pour les deux autres. Question de forme : le style apparaîtra avec l'histoire. Car au fond c'est toujours d'invective dont il s'agit. Pourquoi nos mères nous laissent-elles cette mémoire du cri ? L'idée avait pris forme dans une errance. L'encre petit-poucet de nos questionnements respectifs. Mélange des plumes et des couleurs. L'i.d. serait  la poésie de toutes manoeuvres pour la beauté du monde. Convulsive. Cri. Les mots comme seules armes d'un bouleversement total. Ready-made et raidis mes dés. Pourquoi tant de formes répétées, pour nier la dialectique du vieux Hegel ?  

Point 53, kilomètre 224, vaste  zone de repli stratégique sur une ligne de front essentielle : la circulation autoroutière. Leurs aires d'arrêt confinent aux pestilences muettes des toilettes modernes. Triomphe de la transparence du verre, aveu de la communication zéro. D'un commun accord, nous refusons l'embaumement post-industriel et préférons nourrir nos corps mammifères entre goudron ruisselant,  béton sarcophage de la poésie et pelouse transgénique. Du déchet. De son absorption, de sa déglutition, de sa régurgitation. L'art du raccourci : l'ennemi est déjà là et il nous reste pourtant 173 kilomètres avant d'atteindre une de ses possibles localisations géographiques.  

Rue des Partisans : le paradoxe des lieux nommés. En cet endroit précis, périphérie pavillonnaire, domestication de la nature urbaine, nous nous séparons définitivement. Un verre d'eau pour quelques justificatifs : du choix de l'Autre illusoire, de celui de la saignée familiale, à celui du tremblement irrémédiable de l'ordre social. Traités de stratégies divers pour même reconnaissance du coeur secret des horloges. Un pari dans Paris. Il s'agit de passer aux cartes détaillées.500 feuillets A3 dans deux sacs à dos misérables et usés. Nous déployons nos armes. Première infiltration au coeur d'un des multiples épicentres du possible. Nous quittons très vite la survie des couloirs erratépéïsés  pour préférer le labyrinthe ludique et pollué des librairies complices. Comment diffuser nos idées ? Y a-t-il des banquets inavouables ? Désaccord entre nous : le plaisir de la répartie, du jeu verbal de la séduction. A trop aiguiser le sens renversé de nos idées, nos pas ivres nous mènent sur les rebords du rat. Karl Kraus est ce jour en position centrale sur l'échiquier. Ramon Gomez de la Serna, lui sert incrédule de palefrenier. Sourire de la jeune femme ( domestique ? esclave ?), aux teneurs mercantiles : certains patronymes déclenchent le silence : voyer et les portes se ferment. " Le véritable enjeu de cette société est la communication."  David me reproche un manque de style. De l'art de la boucle. Débat. Accord cependant parfait : pourquoi sommes nous convaincus qu'il ne faut pas pénétrer les gens par leur porte de service ?  

19 h 30 : miracle de l'  errance poétique, nous rejoignons à l'heure nos semblables pour communier au rituel des estomacs. Saint-Michel et le bruit des tiroirs caisses derrière les vitrines : je laisse lentement la soie sanguine du vin grec (des surplus européens)  emplir mon corps. David me sourit : l'heure approche.
22 h 00. Nos sacs à dos sont moins lourds : il reste à porter l'attaque initiale. Je pense au bruit de l'étoffe sur un pubis. Erection. La place est calme : derrière les barreaux d'acier dressés, les colonnes du palais Brognart n'ont pas besoin de signes. Phallus dressés. De la symbolique éternelle. De la domination. Le reste, tout le reste, AMI, OMC, FMI, etc. ne sont que les spermatozoïdes de la copulation de certains. Les véritables ennemis.  
- "On attend les nantais ! Vous en êtes ?".
- "Pourquoi faudrait-il seulement que Nantes soit une fête ?"  
- " Vous faites partie de l'ATTAC ?"  
- " Nous procédons aux prémices de toutes les attaques."  
- " Ca se mange ce que vous distribuez ?" 
- " Le désir ne se lie que la tête reposée, comme Louis XVI !"  
Accélération. Les fameux nantais  sont là, le muscadet aussi. Batailles pour une huître. Qu'importe la cause, il s'agit de rencontres. Les corps se touchent, les langues se délient. Le grondement sourd des djembés scrophuleux. Les degrés en fusions de plusieurs alcools inégaux. Les yeux détournés par quelques silhouettes affinées noires. Nous sommes près de 1000, les pavés commencent à  jaillir et fuser vers les portes muettes du temple. Au loin les sourires amusés de l'ordre en képi.
0 h 45. Ce qui devait être une autre nuit du 4 Août, vire au désastre des troupes. Sempiternels corps avachis, victoire des canettes sur la conscience. Les plus dignes s'esquivent en douceur. Plaisir personnel d'avoir insulté le chien de garde de la presse socialiste en vogue. Il ne nous reste plus qu'une dizaine d'actes de naissance de l'i.d., mais nos idées encore lucides éxècrent définitivement le gauchisme sale.
1 h 50. Repli stratégique. Nous sentons le poids du temps qui s'écoule sur nos corps meurtris. Propos sur l'ennui. Propos sur l'insolence. Nous croisons au hasard de nos pas le supermarché du sexe  en kit. Qu'est-ce que la dignité ? Considérations sur l'orientation géographique la plus pertinente. Que désirons-nous vraiment.?
Soudain, elle sont là devant nous, à la fois dans la beauté plastique du prêt à porter contemporain mais aussi et surtout dans l'expression fulgurante du désir. Elles titubent plus qu'elles ne marchent. Elles s'aspirent plus qu'elles ne respirent. Elles s'embrassent et s'enlacent sans pudeur aucune. Chevelures blondes, étoffes noires, corps tendus et gestes précis autour des reins. A qui parlent-elles ainsi : à elles mêmes ou au(x) tiers voyeur(s) de la rue. Nous avançons, nous piétinons, nous bafouillons. Instant magique de poésie ou déroute définitive des bataillons d'i.d.Elles sont citoyennes du monde, américaines, suédoises, qu'importe. Le côté savamment calculé de l'accent  maladroit , une madeleine au chocolat entre deux seins. Elles sont "nomades du XXè siècle", "étudiantes à normale-sup" "mobile-phone adeptes" "because future is on the web you see."  Excitation cognitive enchevêtrée au langage des corps. La percée était brillante, la malle au trésor est vide. David relance les dés. De l'art du jeté polysémique. Je rajoute un chant à Maldoror. Elles sont stupides, elles sont spectaculairement réifiées. Elles se quittent. Séparation et perte des repères : la division renvoie au doute. Piètres chevaliers, nous accompagnons la silhouette ersatz d'un corps femelle d'humain « jusqu'à la sécurité marchande"  de son quartier. » Nous manquons encore une fois de clairvoyance :  pourquoi lui demander l'autorisation d'aller boire un dernier verre chez elle?
03 h 20. Il pleut et nos repères géographiques sont nuls. Plaisir fugace de la désorientation associée au dérèglement des sens. Jeu : il s'agit de marcher droit devant. Inévitablement le fleuve sera ou ne sera pas. Le rythme de nos pas entraîne celui de nos mots. La vague lancinante de l'alexandrin ou la rythmique guerrière de l'octosyllabe. Débat. Pourquoi toujours des mots plutôt que du silence ?
4 h 25. Les troupes sont épuisées : où sont les tentes du repli. La fluidité libertaire -commerciale du plaisir sonorisé charrie ses derniers lots de viandes ivres, empaquetés dans du désir refoulé. Où sommes-nous dans cet enfer signalisé de néons. Conversation-cigarette avec deux boat-people provinciaux du naufrage moderne. Récurrence : "rien n'empêchera la vie d'être absolument passionnante!"  Mais "nous" ne "savons"  toujours pas "comment faire". Mais-ne-toujours-pas...  
4 h 50. Que fait la lumière de l'aube ? La Seine prend forme au lever du rideau. Elles sont encore deux, plus décentes, plus humaines,  plus ivres ?  
Question : "est-ce que vous avez peur ? "
Réponse : " du mensonge des mots sur les corps ?"  
Question : "est-ce que vous vous ennuyez ?"
Réponse : " l'enfer est-il sempiternellement ainsi ?"
Question : " que désirez-vous vraiment ?"
Le silence comme aveu. L'une d'elle va vite. Elle répond n'importe quoi. Puisqu' importe. Ca. Elle sait que nous savons qu'elle sait. Une stigmate comme l'ouverture de sa jupe fendue sur le dessus du genou. Accélération. Confusion. Report. Elle nous promet au pire les insultes que justifient le manque de style. Dernier regard tendu sur les lignes de son cou.
5 h 45 : Récapitulatifs des erreurs stratégiques. Bilan des opérations insuffisamment calculées. Etat des forces. Le chant XII du Purgatoire dans nos divines comédies. Demain nous devons reconnaître d'éventuelles alliances avec des sans-culottes. Nos coeurs secrets. Mon coeur. se créé....

 

 

 

 

 

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