La pluie comme
une buée au miroir de l'éthique. Il est 8 h 30.
Je monte dans un véhicule à moteur de couleur bleue marine Le bitume dévore les
kilomètres et nos propos sibyllins. Nous sommes quatre, deux hommes, deux
femmes, et roulons vers une destination géométriquement repérable: les
certitudes de l'amour pour l'une, les raisons inconscientes du sang pour
l'autre, la dérisoire participation au
refus pour les deux autres. Question de forme : le style apparaîtra avec
l'histoire. Car au fond c'est toujours d'invective dont il s'agit. Pourquoi nos
mères nous laissent-elles cette mémoire du cri ? L'idée avait
pris forme dans une errance. L'encre petit-poucet de nos questionnements
respectifs. Mélange des plumes et des couleurs. L'i.d. serait la poésie de toutes manoeuvres pour la beauté
du monde. Convulsive. Cri. Les mots comme seules armes d'un bouleversement
total. Ready-made et raidis mes dés. Pourquoi tant de formes répétées, pour
nier la dialectique du vieux Hegel ?
Point 53, kilomètre 224,
vaste zone de repli stratégique sur une
ligne de front essentielle : la circulation autoroutière. Leurs aires d'arrêt
confinent aux pestilences muettes des toilettes modernes. Triomphe de la
transparence du verre, aveu de la communication zéro. D'un commun accord, nous
refusons l'embaumement post-industriel et préférons nourrir nos corps
mammifères entre goudron ruisselant,
béton sarcophage de la poésie et pelouse transgénique. Du déchet. De son
absorption, de sa déglutition, de sa régurgitation. L'art du raccourci :
l'ennemi est déjà là et il nous reste pourtant 173 kilomètres avant
d'atteindre une de ses possibles localisations géographiques.
Rue des
Partisans : le paradoxe des lieux nommés. En cet endroit précis, périphérie
pavillonnaire, domestication de la nature urbaine, nous nous séparons
définitivement. Un verre d'eau pour quelques justificatifs : du choix de
l'Autre illusoire, de celui de la saignée familiale, à celui du tremblement
irrémédiable de l'ordre social. Traités de stratégies divers pour même
reconnaissance du coeur secret des horloges. Un pari dans Paris. Il s'agit de
passer aux cartes détaillées.500 feuillets
A3 dans deux sacs à dos misérables et usés. Nous déployons nos armes. Première
infiltration au coeur d'un des multiples épicentres du possible. Nous quittons
très vite la survie des couloirs erratépéïsés pour préférer le labyrinthe ludique et pollué
des librairies complices. Comment diffuser nos idées ? Y a-t-il des banquets
inavouables ? Désaccord entre nous : le plaisir de la répartie, du jeu verbal
de la séduction. A trop aiguiser le sens renversé de nos idées, nos pas ivres
nous mènent sur les rebords du rat. Karl Kraus est ce jour en position centrale
sur l'échiquier. Ramon Gomez de la
Serna, lui sert incrédule de palefrenier. Sourire de la jeune
femme ( domestique ? esclave ?), aux teneurs mercantiles : certains patronymes
déclenchent le silence : voyer et les portes se ferment. " Le véritable enjeu de cette société est la communication." David me reproche un manque de style. De
l'art de la boucle. Débat. Accord cependant parfait : pourquoi sommes nous
convaincus qu'il ne faut pas pénétrer les gens par leur porte de service ?
19 h 30 :
miracle de l' errance poétique, nous
rejoignons à l'heure nos semblables pour communier au rituel des estomacs.
Saint-Michel et le bruit des tiroirs caisses derrière les vitrines : je laisse
lentement la soie sanguine du vin grec (des surplus européens) emplir mon corps. David me sourit : l'heure
approche.
22 h 00. Nos
sacs à dos sont moins lourds : il reste à porter l'attaque initiale. Je pense
au bruit de l'étoffe sur un pubis. Erection. La place est calme : derrière les barreaux
d'acier dressés, les colonnes du palais Brognart n'ont pas besoin de signes.
Phallus dressés. De la symbolique éternelle. De la domination. Le reste, tout
le reste, AMI, OMC, FMI, etc. ne sont que les spermatozoïdes de la copulation
de certains. Les véritables ennemis.
- "On
attend les nantais ! Vous en êtes ?".
- "Pourquoi
faudrait-il seulement que Nantes soit une fête ?"
- " Vous
faites partie de l'ATTAC ?"
- " Nous
procédons aux prémices de toutes les attaques."
- " Ca se
mange ce que vous distribuez ?"
- " Le
désir ne se lie que la tête reposée, comme Louis XVI !"
Accélération.
Les fameux nantais sont là, le muscadet aussi. Batailles pour
une huître. Qu'importe la cause, il s'agit de rencontres. Les corps se
touchent, les langues se délient. Le grondement sourd des djembés scrophuleux.
Les degrés en fusions de plusieurs alcools inégaux. Les yeux détournés par
quelques silhouettes affinées noires. Nous sommes près de 1000, les pavés
commencent à jaillir et fuser vers les
portes muettes du temple. Au loin les sourires amusés de l'ordre en képi.
0 h 45. Ce qui
devait être une autre nuit du 4 Août, vire au désastre des troupes.
Sempiternels corps avachis, victoire des canettes sur la conscience. Les plus
dignes s'esquivent en douceur. Plaisir personnel d'avoir insulté le chien de
garde de la presse socialiste en vogue. Il ne nous reste plus qu'une dizaine d'actes de naissance de
l'i.d., mais nos idées encore lucides éxècrent définitivement le gauchisme
sale.
1 h 50. Repli
stratégique. Nous sentons le poids du temps qui s'écoule sur nos corps
meurtris. Propos sur l'ennui. Propos sur l'insolence. Nous croisons au hasard
de nos pas le supermarché du sexe en
kit. Qu'est-ce que la dignité ? Considérations sur l'orientation géographique
la plus pertinente. Que désirons-nous vraiment.?
Soudain, elle
sont là devant nous, à la fois dans la beauté plastique du prêt à porter
contemporain mais aussi et surtout dans l'expression fulgurante du désir. Elles
titubent plus qu'elles ne marchent. Elles s'aspirent plus qu'elles ne
respirent. Elles s'embrassent et s'enlacent sans pudeur aucune. Chevelures
blondes, étoffes noires, corps tendus et gestes précis autour des reins. A qui
parlent-elles ainsi : à elles mêmes ou au(x) tiers voyeur(s) de la rue. Nous
avançons, nous piétinons, nous bafouillons. Instant magique de poésie ou
déroute définitive des bataillons d'i.d.Elles sont
citoyennes du monde, américaines, suédoises, qu'importe. Le côté savamment
calculé de l'accent maladroit , une
madeleine au chocolat entre deux seins. Elles sont "nomades du XXè siècle", "étudiantes à normale-sup"
"mobile-phone adeptes" "because future is on the web you
see." Excitation cognitive
enchevêtrée au langage des corps. La percée était brillante, la malle au trésor
est vide. David relance les dés. De l'art du jeté polysémique. Je rajoute un
chant à Maldoror. Elles sont stupides, elles sont spectaculairement réifiées.
Elles se quittent. Séparation et perte des repères : la division renvoie au
doute. Piètres chevaliers, nous accompagnons la silhouette ersatz d'un corps
femelle d'humain « jusqu'à la
sécurité marchande" de son quartier. » Nous manquons encore
une fois de clairvoyance : pourquoi lui
demander l'autorisation d'aller boire un dernier verre chez elle?
03 h 20. Il pleut et nos repères géographiques sont nuls. Plaisir fugace de la désorientation associée au dérèglement des sens. Jeu : il s'agit de marcher droit devant. Inévitablement le fleuve sera ou ne sera pas. Le rythme de nos pas entraîne celui de nos mots. La vague lancinante de l'alexandrin ou la rythmique guerrière de l'octosyllabe. Débat. Pourquoi toujours des mots plutôt que du silence ?
03 h 20. Il pleut et nos repères géographiques sont nuls. Plaisir fugace de la désorientation associée au dérèglement des sens. Jeu : il s'agit de marcher droit devant. Inévitablement le fleuve sera ou ne sera pas. Le rythme de nos pas entraîne celui de nos mots. La vague lancinante de l'alexandrin ou la rythmique guerrière de l'octosyllabe. Débat. Pourquoi toujours des mots plutôt que du silence ?
4 h 25. Les
troupes sont épuisées : où sont les tentes du repli. La fluidité libertaire
-commerciale du plaisir sonorisé charrie ses derniers lots de viandes ivres,
empaquetés dans du désir refoulé. Où sommes-nous dans cet enfer signalisé de
néons. Conversation-cigarette avec deux boat-people provinciaux du naufrage
moderne. Récurrence : "rien
n'empêchera la vie d'être absolument passionnante!" Mais "nous"
ne "savons" toujours pas "comment faire". Mais-ne-toujours-pas...
4 h 50. Que
fait la lumière de l'aube ? La
Seine prend forme au lever du rideau. Elles sont encore deux,
plus décentes, plus humaines, plus ivres
?
Question :
"est-ce que vous avez peur ? "
Réponse :
" du mensonge des mots sur les corps ?"
Question :
"est-ce que vous vous ennuyez ?"
Réponse :
" l'enfer est-il sempiternellement ainsi ?"
Question :
" que désirez-vous vraiment ?"
Le silence
comme aveu. L'une d'elle va vite. Elle répond n'importe quoi. Puisqu' importe.
Ca. Elle sait que nous savons qu'elle sait. Une stigmate comme l'ouverture de
sa jupe fendue sur le dessus du genou. Accélération. Confusion. Report. Elle
nous promet au pire les insultes que justifient le manque de style. Dernier
regard tendu sur les lignes de son cou.
5 h 45 : Récapitulatifs des erreurs stratégiques. Bilan des opérations insuffisamment calculées. Etat des forces. Le chant XII du Purgatoire dans nos divines comédies. Demain nous devons reconnaître d'éventuelles alliances avec des sans-culottes. Nos coeurs secrets. Mon coeur. se créé....
5 h 45 : Récapitulatifs des erreurs stratégiques. Bilan des opérations insuffisamment calculées. Etat des forces. Le chant XII du Purgatoire dans nos divines comédies. Demain nous devons reconnaître d'éventuelles alliances avec des sans-culottes. Nos coeurs secrets. Mon coeur. se créé....
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