samedi 31 décembre 2016

Le désir triangulaire dans le roman moderne

René Girard, dans son ouvrage consacré au désir triangulaire dans le roman moderne européen, "Mensonges romantiques et vérités romanesques", décrit méticuleusement, de Cervantès à Dostoïevski, les moments-clés de l'alchimie affective du héros romanesque. Qu'est-ce que le désir triangulaire ? Il est le fait, pour l'individu moderne tel qu'il est pris dans des rapports psychologiques et sociaux déterminés, de ne jamais savoir désirer par soi-même, de ne jamais être tendu vers l'objet ou l'être désiré par une libre volonté qui se mouvrait sans référent extérieur, il est le fait, en somme, de désirer une chose, un état, dans la mesure où le comportement d'un tiers admiré, voire idolâtré, c'est-à-dire d'un médiateur, se voit imité, reproduit à l'identique, re-présenté. Or, ce désir triangulaire, observe René Girard, de Cervantès à Dostoïevski, en passant par Flaubert, Stendhal et Proust, se resserre au fil de l'aventure littéraire européenne : autrement dit, la sphère des possibles du médiateur et celle du sujet désirant tendent à se confondre toujours davantage, au point que l'admiration solaire et bienveillante initiale (Don Quichotte) se mue progressivement en haine pure et simple face à un médiateur pourtant secrètement idolâtré (Les frères Karamazov). Voyons cela de plus près.

Don Quichotte désire sauver des jeunes filles en détresse. Dans ce désir, il se réfère sans cesse à son modèle, à son idole, à son maître : Amadis de Gaule, le héros d'un roman de chevalerie. Cette médiation du désir, il l'assume sans cesse, il la revendique même, elle est le guide de sa folie douce qui l'enjoint à combattre des moulins à vent ; pour tout dire, il ne saurait se passer de ce point fixe, de ce soleil tout-puissant qui lui suggère ses discours brillants, ses interprétations farfelues, sa volonté tenace et fière. Une telle sérénité chez Don Quichotte est rendue possible par le fait que la sphère des possibles d'Amadis et la sienne propre ne se rencontrent jamais : étant un être de fiction, confiné dans les livres, qui ne saurait intervenir dans la réalité, Amadis ne risque pas de conquérir à sa place le coeur de sa Dulcinée. Il n'est pas son concurrent direct, nulle haine ne saurait intervenir entre eux. Cette configuration d'un désir triangulaire assumé, on la retrouve dans la relation qui unit Sancho à Don Quichotte. Sancho désire devenir gouverneur de « son » île, celle que Don Quichotte lui a promise. Dans ce désir, il se réfère constamment à la parole de son maître, qui a pour lui une autorité incontestable. Mais cette façon de participer à un délire insensé n'a rien de malsain, elle n'est pas souffrante : Sancho aime sincèrement son maître, il ne prétend pas lui faire de l'ombre ni ne se sent humilié par ses manières altières, parfois méprisantes. Il sait rester "à sa place". Car la distinction de classe fonctionne ici comme étanchéité d'une sphère des possibles à l'égard de l'autre.

Avec le personnage d'Emma Bovary, l'étau se resserre. Emma désire sortir du carcan triste à mourir de son mariage rural, et souhaite partir à la rencontre du grand monde. Un tel désir lui est suggéré par l'intrigue des romans d'amour qu'elle ne se lasse pas de relire, unique fenêtre d'espoir dans cet univers fade, mesquin, bourgeois, et patriarcal, dans lequel elle semble condamnée à pourrir. Or, un tel désir, ici magnifié, se verra transitoirement réalisé lors d'une soirée où la possibilité d'un prince charmant se laisse entrevoir. Mais en vain. Car c'est le poison qui l'attend plutôt. Ici, la médiation est relativement sereine, car c'est encore le roman qui est son vecteur. Mais, dans la mesure où son inscription dans la réalité est davantage possible, possibilité qui vient gâter finalement l'ensemble du vécu d'Emma, elle suppose déjà une concurrence entre les médiatrices (les héroïnes) et la jeune femme follement éprise de joies mondaines. Stendhal avait déjà confirmé un tel étouffement, dans Le Rouge et le Noir.

Julien désire, plus que tout au monde, conquérir la société parisienne, et pour ce faire, il délaissera son seul "vrai amour", Madame de Rênal. Un tel désir a pour figure de concentration une personne, Mathilde de la Mole, "la" femme, ici idéalisée, ou réifiée, qu'il s'agit absolument de "séduire". Mathilde de la Mole est désirée non pas pour elle-même, mais simplement parce que l'ensemble de la société parisienne, masculine, son père, ses prétendants, paraissent la désirer, la valoriser comme femme de goût, belle et intelligente, "femme fatale" en somme, dont la "possession" reviendrait à "posséder" l'ensemble des "biens" désirables du grand monde. Au fond, ce qui est véritablement « aimé » dans ce lien, ce n'est pas la personne concrète de Mathilde, mais bien l'ensemble des rivaux, tout le microcosme parisien masculin, qui se meut autour de cette "étoile" (qui n'est en fait qu'un prétexte). Mais cet « amour » n'est pas conscient, ni admis. Car ici, la sphère des possibles du médiateur recouvre celle du sujet désirant : les idoles se sont transformées en concurrents, ils peuvent "ravir le coeur" de "la belle Mathilde". La médiation se fait alors envie, haine de soi et de l'autre, vanité. Lorsque le médiateur est un égal, ce qui est d'autant plus le cas dans une société qui tend à se démocratiser, la « médiation interne » se substitue à la « médiation externe », solaire et sereine quoique illuminée, d'un Don Quichotte. Le virilisme romantique devient pédanterie glaciale, et non plus fantaisie bouffonne.

Avec Proust, la « médiation interne » s'intensifie. Ce n'est plus la société qui est le médiateur, mais le « milieu ». Ainsi naît le snobisme, à la fin du XIXème siècle, sur fond de déclin désespéré d'une aristocratie à bout de souffle. Swann aime la grande peinture, la musique édifiante, les belles lettres. Il est presque artiste, mais il lui manque cette folie : le dépassement du désir triangulaire. Car, désirant tout cela, ce qu'il désire au fond, c'est l'admission dans le cercle restreint des aristocrates mondains. Madame de Guermantes est le point focal où se laisse représenter au mieux son snobisme : sa relation à elle, obséquieuse et soumise, montre à quel point un homme "digne" et fier est prêt à se rapetisser pour grapiller quelques miettes de mondanités, de prestige social.

Mais la médiation interne est à son paroxysme chez Dostoïevski, dans Les frères Karamazov. Ici, c'est au sein même de la famille que vient se nicher le médiateur. A l'exception d'Alexis, les fils du vieux Karamazov sont hantés par cette figure dont ils désirent passionnément imiter la force, la colère, la haine, sans jamais assumer une telle imitation, tant elle les horrifie. La relation de l'inquisiteur au Christ ressuscité est d'ailleurs du même ordre, un conflit familial : c'est au Nom du Père et de sa haine, de sa soif de pouvoir, que l'inquisiteur sacrifie le Fils redescendu sur terre, et ce au sein d'une imitation qui ne se reconnaît pas, l'inquisiteur se considérant au fond comme un criminel impie.
Dans le cas de la médiation interne, qui est le cas le plus courant dans nos sociétés démocratiques et marchandes, le désir triangulaire a ceci de pervers qu'il est contagieux : le désir imité, celui du médiateur, peut être imaginé au départ par le sujet désirant, à l'arrivée, il sera devenu réel, car la concurrence, l'égalité dans lesquelles sont pris ces deux pôles, auront tôt fait de concrétiser un tel désir. Donnons un exemple. Dans Le Rouge et le Noir, M. de Rênal suppose que Valenod désire employer Julien comme précepteur, et en cela il a d'abord tort. Mais cette imagination, Valenod étant le deuxième homme du village, le pousse à employer effectivement Julien. Or, plus tard, tandis que Julien ne sera plus au service de M. de Rênal, Valenod désirera l'employer à son tour, car il a pris de la valeur, dans la mesure où il a déjà travaillé pour son rival immédiat, haï quoique secrètement adoré. Le désir de Valenod, seulement supposé initialement, est devenu réel : il y a bien contagion, et passage de l'illusion au vrai, en ce qui concerne le désir triangulaire. Tel est donc le fonctionnement du désir dans nos sociétés fétichistes-spectaculaires, auxquelles nous allons maintenant nous intéresser de plus près.

Désir triangulaire et publicité

Les trois pôles envisagés par Girard : sujet désirant, médiateur, et objet désiré, peuvent être, dans une perspective d'extension à la critique marxienne de la valeur, complétés par les trois autres pôles suivants : le travailleur-consommateur, la valeur, et la marchandise. Dans notre cadre, qui est ici une critique radicale de la publicité et des médias qui lui sont associés, il faut entendre par valeur non seulement l'argent ou le travail abstrait, mais aussi et avant tout une communauté abstraite, une somme de personnes représentatives d'un système, un ensemble de gens qui ont « réussi », et dont les caractéristiques rejoignent, de fait, les déterminations de l'argent et du travail abstrait. Il s'avère donc que, dans la publicité de nos sociétés occidentales ou occidentalisées, au sein de cette somme d'images symptomatiques d'un système qui valorise l'apparence des produits du travail en passant sous silence le labeur concret des travailleurs et travailleuses ainsi que leurs souffrances réelles, on retrouve, esthétisée, magnifiée, la triangulation du désir dans tous les moments qui viennent d'être distingués. Elle sera simplement, dans ce contexte "promotionnel", devenue totalement triviale et vulgaire, même si elle n'est pas moins mythologique et délirante. Un fond patriarcal diffus, qui confirme un économicisme fonctionnel, enveloppe cette esthétique de l'occultation. Il s'agit de bien le montrer maintenant.

Dans la publicité pour Nutella, par exemple, la médiation interne est intra-familiale. Un « moment Nutella », outre les sourires niais des enfants et les regards "complices" des parents, c'est avant tout un instant de violence psychique et symbolique inouïe, portée à son paroxysme, à la manière d'un roman de Dostoïevski. L'huile de palme et toutes ses dérives, l'exploitation des travailleurs et travailleuses qui produisent la pâte à tartiner, toutes ces injustices et horreurs qui se concentrent dans l'illusion d'une « marque », se voient condensées dans la « joie » d'un enfant, à l'intérieur du « bonheur simple » d'une "famille" standardisée, à l'intérieur d'une concurrence intra-familiale apparemment « bon enfant ». C'est le cocon le plus intime qui est ici pris en otage, capté, détruit de l'intérieur, par des spécialistes en neuromarketing sans scrupules. L'idéologie qui défend l'exploitation ici, est indissociable de celle qui représente une famille-type, structurellement patriarcale.

La publicité est narcissique. Le milieu des publicitaires l'est, a fortiori, aussi. Ainsi, il existe un autre type de publicité où c'est le snobisme à la Proust qui opère au mieux. Le terme de « hipsters », qui ne désigne plus aucun individu concret ou réel, complexe, forgé à nouveaux frais donc, comme type-standard de personnalité, définit assez bien le microcosme que certaines campagnes publicitaires tentent de mettre en avant, afin de créer un monde à l'image des publicitaires. Les hipsters écouteraient de l'electro, feraient du « clavier », travailleraient dans la publicité, l'édition, le graphisme, le cinéma, la mode, ou dans les milieux de l'art contemporain. Ils seront « in » (ils n'emploient donc pas ce mot), « artistes », n'auront aucune conscience politique, et resteront au sein d'un entre-soi nauséabond. Les publicités qui illustrent parfaitement le snobisme publicitaire sont les publicités pour Apple : de belles images de grandes métropoles où l'urbain branché, blanc de préférence, montre son aisance et sa fascination face à la machine high-tech. Bien sûr, ne sont pas stipulées ici les conditions proprement atroces dans lesquelles sont assemblées les machines, ni le prix exorbitant des appareils, qui incitent les esclaves des temps modernes à s'endetter ou à emprunter au prix d'un stress et d'un inconfort continuels. Ce snobisme-là, esthète comme il se doit, se paye dans le sang et les larmes.

La "femme fatale" qu'il faut à tout prix séduire, cette Mathilde de la Mole figurée, fantasmée, de la modernité tardive, on la retrouve dans les publicités pour le café. « L'Homme », viril et racé, boit son café, intense et corsé, et c'est « la Femme » qui apparaît, envoûtée, conquise, prête à se jeter dans ses bras (ce qu'elle fait effectivement, la plupart du temps). Toute la société désire cette femme, mais c'est lui qui la "possède", parce qu'il a eu la bonne idée de choisir la bonne marque de café. Les rivaux, autres buveurs de café, ceux que l'on désire de fait sans jamais l'admettre, sont éloignés. La concurrence entre les marques rejoint la concurrence amoureuse, définie de façon machiste et patriarcale, dans un procès vertigineux. Ces suggestions d'une bêtise abyssale passent bien sûr sous silence les conditions réelles de production du café. Elles occultent également le fait qu'une telle substance, drogue du travailleur pressé de nos sociétés fétichistes, est aussi vecteur de destruction lente de nos vécus concrets.

Les publicités pour le parfum féminin, de leur côté, renouvellent un bovarysme effrayant. Cette héroïne de romans d'amour qui a tant fasciné Emma, on la retrouve, transfigurée, à l'odeur enchanteresse, au sein d'un cadre urbain magique, parisien, et c'est à elle qu'il faut ressembler, c'est elle qu'il faut imiter : désirable, intégrée, bien dans son corps et dans sa tête... Femme !... - valoriser le « féminin » revenant ici à déprécier ultimement les femmes en chair et en os. Enfin, le Don Quichotte des temps modernes, c'est cet « adulescent » bedonnant qui rêvasse devant sa télévision face à un clip promouvant la marque Axe Apollo. « Rien ne bat un astronaute », tel est le slogan qui vient réveiller l'ethos chevaleresque d'un frustré aigri avant l'âge qui s'en ira dès lors conquérir le monde, combattre les moulins à vent, libérer sa "Dulcinée" réifiée - un prétexte (autrement dit, il deviendra trader ou chef d'entreprise, dans le meilleur des cas).

Mais revenons-en à la littérature. On ne saurait comparer la démarche des auteurs cités plus haut à celle des publicitaires : les premiers dévoilent et dénoncent les mécanismes de la triangulation du désir, les seconds les occultent délibérément, ou les utilisent à des fins cyniques, destructrices, que le récepteur ignore. Quelle est donc la littérature qui correspondrait au projet implicitement présent dans les discours publicitaires ? Assurément, et cela est suggéré par Girard, la littérature romantique et la littérature réaliste.
Le romantisme, d'une part, est une façon de supposer un héros masculin, passionné ou "viril", dont la volonté est absolument close sur elle-même, sans relation à quelque altérité extérieure, il est la valorisation d'un "je" pur dont les passions ne résulteraient nullement, mais dans l'illusion, d'une imitation quelconque (la réification du "féminin", ici, rejoint la réification liée à une exploitation massive et occultée ; l'unité de l'esclavagisme moderne s'affirmant constamment, par-delà les pseudo-différenciations du spectacle de la société marchande). Dès lors, ce "je" pur masculin tait purement et simplement l'existence pourtant universelle et nécessaire du désir triangulaire. Telle est, éminemment, la publicité : romantique, explicitement, cynique, en sous-main.
D'autre part, le réalisme, quant à lui, à travers l'affirmation d'une "scientificité" douteuse, suppose la possibilité d'une observation "objective", d'un narrateur détaché de tout affect, soit une relation entre objet et sujet qui serait directe, non contaminée par quelque médiation. Ici encore, le désir mimétique est passé sous silence. Telle est donc, également, la publicité : réaliste, explicitement, cynique, toujours.
Une façon d'échapper à ce triangle infernal, qui est ainsi, chez le héros romantique ou "réaliste", comme chez l'aliéné de la modernité tardive, une composante essentielle de la personnalité, est peut-être suggérée par la passion stendhalienne. Fabrice del Dongo, dans son amour pour Clélia, ou Clélia plutôt, qui n'est plus essentialisée, tous deux ont quitté tout désir social, tout désir de reconnaissance, et ils ne sont pas non plus romantiques, ou lyriques, ils ne peuvent tout simplement pas « chanter » leur amour. C'est leur mutisme, à travers les barreaux d'une prison, qui évoquera le plus pleinement leur accès à la libération à l'égard de toute forme de joug aliénant. Les amours homosexuelles d'un Proust, de même, évoquent des évasions porteuses...
Quoi qu'il en soit, les publicités sur "nos" écrans, sur les murs des villes et campagnes, restent quotidiennement des insultes subtiles, des moqueries cyniques mais "sympathiques", qui décomposent psychiquement toujours plus les anonymes travailleuses-consommateurs que nous "sommes". Leurs assignations classistes, patriarcales, parfois racistes également, qui sont devenues "drôles", "fun", esthétisées, donnent à la misère un sourire qui ne la rend pas plus "tolérable", mais plus inconsciente finalement, et plus dissociatrice encore. La triangulation de nos désirs, ici, n'a même plus la profondeur ou la dignité de la souffrance d'une Emma Bovary, d'une Mathilde de la Mole, d'un Marcel, d'un Aliocha, ni même la splendeur bouffonne d'un Don Quichotte. Devenue infiniment triviale et laide, constante et décevante, elle devient mille petits coups d'épingles supportés chaque jour, pour que des violences plus graves deviennent ensuite elles-mêmes tolérables, de façon passive ou "collaborative" (fascisme, racisme ou sexisme débridés, austérité sauvage, etc.).

(Avec l'aimable autorisation de Benoit Bohy-Bunel : http://benoitbohybunel.over-blog.com/)
 

mardi 27 décembre 2016

La ville comme opium de la Valeur



« Les grandes choses, il faut les taire ou parler d’elles avec grandeur, 
c’est-à-dire avec cynisme et innocence » (F. Nietzsche, 1885-1886)


Dès 1968, dans son ouvrage « Le droit à la ville » (Paris, Anthropos) Henry Lefebvre, dénonce (au coeur de sa pensée) la mainmise de la valeur d'échange sur la valeur d'usage. Elle s'organise en mettant la ville au service du système de production industrielle et, partant, de la société capitaliste.



Avec l’avènement de la société industrielle et le passage au mode de production capitaliste naît dans la ville une inversion du rapport entre valeur d’usage et valeur d’échange. Le passage au capitalisme et à l’ordre marchand provoque une mutation radicale qui inscrit la ville dans une marchandisation d’elle-même et de la vie quotidienne. La ville capitaliste prend la consommation comme centre de gravité : elle crée des lieux de consommation et devient elle-même une marchandise à consommer. Selon H. Lefebvre, dans la ville du Moyen âge occidental, les marchands et les banquiers s’établissaient autour de la place, du marché, de la halle, pour y promouvoir l’échange et le généraliser, pour étendre le domaine de la valeur d’échange; ce faisant, ils oeuvraient la ville et en faisaient usage. Ils constituaient un agent historique et social qui modelait la ville. Le marchand trouvait dans la ville son point de rencontre, son port d’attache, son lieu de stratégie. Mais la ville va peu à peu permettre la concentration des capitaux et l’accroissement de la productivité. Dans le même temps, l’importance de la production agricole va reculer devant l’importance de la production artisanale et industrielle du marché, de la valeur d’échange, du capitalisme naissant. Les anciennes centralités vont laisser la place à des centres de décision. Les noyaux urbains, anciens lieux de rassemblement et de rencontre, notamment en vue d’y promouvoir des échanges commerciaux, vont devenir eux-mêmes valeur d’échange, produits de consommation, sorte de simulacre authentique en trompe l’oeil où la ville ne sera plus que le spectre d’elle-même...
Avec des gens qui "se ruent vers les ruines des villes anciennes pour les consommer touristiquement en croyant guérir de leur nostalgie..."


dimanche 18 décembre 2016

Depuis les Chants de Maldoror, quel style pour quelle écriture ?

« L’on doit toujours éprouver quelque peine pour ces personnes qu’écrase le char triomphant du progrès...» 
(A. Cahill, membre des services civils en Inde, cité par 
Hannah Arendt, Sur l’impérialisme, Paris, Point Essais 2006 ). 


« Pourquoi depuis des millénaires, les hommes ont-ils passé une telle part de leur temps à inventer des mythes, c’est à dire au fond des histoires qui n’ont ni queue ni tête ? » 

(Claude Lévi Strauss :  Mythologiques, Le Cru et le cuit (T1), Paris, Plon,


« Le roman non poétique est un genre faux, parce qu’il décrit les passions pour elles-mêmes : la conclusion morale est absente. Décrire les passions n’est rien ; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère... » 

(Comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror, 1869)


« C’est plus fort que moi, je m’ordonne. Je rapproche des faits qui furent, mais séparés.  Je crois me souvenir, je m’invente...»  

(Louis Aragon, Les Aventures de Télémaque, Paris NRF-Gallimard, 1922)


« Le mot de Buffon « le style, c’est l’homme » n’a jamais cessé de se vérifier et de gagner en précision. L’absence de style dans un nombre croissant de livres, traduit l’absence de style de vie chez un grand nombre de nos contemporains. 
Il y a aussi ceux qui trichent: ils ont un style qui dissimule l’homme qu’ils sont, mais leur mensonge même les dénonce, comme de beaux parleurs qui ont seulement l’art de duper et de manipuler, et qui se mystifient eux-mêmes. 
Je connais assez Jean-Louis pour dire qu’il vit comme il écrit : de façon échevelée et avec une grande rigueur, avec une exigence aussi paisible qu’insatiable. Il me connait assez pour savoir que l’alliance du chaos et de l’harmonie n’est pas pour me déplaire. » 

 (Raoul Vaneigem, A propos du roman Mamiwata, Bruxelles, 2001)

Jean-Louis LIPPERT : Mamiwata, Mons, Ed Talus d’Approche, 1994, 442 pages
L’éditeur a fait faillite et on ne le trouve plus..., à moins que quelqu’un ne le réédite...

mercredi 30 novembre 2016

Retour à Guy Debord

(Debord,G: Commentaires sur la Société du Spectacle, 
 Editions Gérard Lébovici, Paris 1988)

30 ans déjà. Et l'inexorable lucidité sur des processus, dont l'auteur français n'a jamais clamé l'exclusivité. Puisque en bon Hegelien, il savait (avec d'autres vieux) que la dialectique de la raison pouvait aussi être "descendante"...


La société moderne, uniformisée au niveau planétaire depuis 1989 à travers le modèle libéral de la production-consommation de Masse, se caractérise par cinq grands phénomènes qui enlèvent à tout groupe, collectif, individu, le moindre pouvoir sur ses actes, ses initiatives, ses choix, donc une partie de sa liberté de citoyen, tout en lui faisant miroiter la liberté illusoire du consommateur. Ces cinq grands traits sont:

-la fusion économico-étatique : tendance manifeste de ces dernières années avec la disparition totale du modèle communiste, (autre forme d'organisation dont l’histoire a montré les limites) et l'avènement de l'Etat Démocratique Entreprise. L'alliance défensive et offensive conclue entre Economie et Etat, leur assure les plus grands bénéfices, dilue le pouvoir. Chacune possède l'autre, il devient absurde de les opposer, et l'individu ne sait plus qui lui parle. (Scandale des catastrophes dites écologiques, scandale des économies informelles de type maffia, scandale des ventes d'armes aux dictatures, scandales juridico-politico-financiers, scandales de société: sang contaminé, exclusions, justice à plusieurs vitesses...)

-la notion du présent perpétuel: Révolution technologique sans précèdent, le passage de la culture de l'écrit (distance donc analyse) à la culture de l'image (brute, sans recul, enivrante parce que associée au fantasme de l'ubiquité) abolit la notion de Temps Historique, Au coeur même de l'information permanente par l'image, c'est l'histoire et ses leçons critiques qui est happée par sa disparition .Il y a annulation de la durée, du temps différé, de l'ailleurs, annulation des causes et des effets, et centration sur des évènements s'enchaînant les uns aux autre, vides se sens, non articulés. (Paradoxes des images: Paris-Dakar / Somalie, sport/conflits nationalistes, illusions religieuses / guerres de conquêtes, commémorations grandiloquentes / négation du droit à l'auto-détermination...)

-le renouvellement technologique permanent: constitutif de la société industrielle puis post-industrielle, il consacre l'avènement d'un nouvelle forme de Pouvoir, celui accordé aux experts et aux spécialistes. .L'individu est ainsi livré aux mains d'hommes parfois dépourvus de toute conscience critique, mais hyper spécialisés. L'individu n'est plus citoyen mais objet: son avenir est lié à leurs calculs, à leurs prévisions, toujours statistiques donc incontournables, et à leur conception non homogénéisée du monde. (Dérapages des neurosciences, de la bioéthique, des prévisions boursières, de la sondocratie appliquée à la politique et à l'information, de la technocratie type Maastricht...)

-Le Faux sans réplique: l'absence de toute forme critique d'organisation du monde, la victoire uniforme du même modèle (libéral-social-démocrate) rend caduque toute notion objective du vrai et du faux. Le VRAI dans le meilleur des cas se trouve réduit à l'état d'une hypothèse jamais démontrable, il cesse d'exister et donne une qualité toute nouvelle au FAUX qui fait disparaître peu à peu l'opinion publique, puis le politique, la justice, etc. (Doutes médiatisés de l'honnêteté des politiques, des oeuvres humanitaires, des nouvelles notions géopolitiques comme Ordre Mondial, Ingérence, doute sur la justice, la solidarité)

-le Secret Généralisé: conséquence logique des quatre traits précédents, il se tient derrière l'information permanente, sans cesse basculée du Vrai au Faux, masquée par le confort technologique et l'anonymat des experts. (Non connaissance des enjeux planétaires, démographiques, climatiques, geo-technologiques, géo-stratégiques, bio-éthiques, des neuro-sciences et de l'intelligence artificielle)

Ces cinq grands traits à l'apparence abstraits, éloignés de nous et de la réalité matérielle, sont pourtant étroitement imbriqués les uns aux autres et rendent:
-les sources du pouvoir réel (économique et financier) invisibles donc incontrôlables ;
-les origines des conflits floues et systématiquement liées par les médias aux conjonctures quand elles relèvent en vérité de la structure (le marché) et de sa logique (la croissance) ;
-les groupes de pression concurrents, sclérosés sur leur réalité, donc sans cesse en conflits (unité ou démarche propre) quand liés par les mêmes préoccupations si finement découpées.
-les individus écartés les uns des autres, confinés à l'ère du micro-privé, de "la religion absurde du narcissisme" et de la conscience politique mineure.

CONSTATS:

CRISE: Crise économique, crise sociale, crise de l'emploi, crise des institutions, crise de l'identité elle même, jusque dans les retranchements les plus intimes de la vie privée.

REPLI: Repli des grandes initiatives politiques, économiques, repli des couches sociales et des corporations (qui leur ont succédé), repli du fonctionnement démocratique lui même, par la montée de l'abstention lors des élections et la crise de la délégation politique, repli de l'individu sur l'univers morcelé du loisirs narcissique
et périssable.

IMPLOSION: Implosion du système et des institutions censées le contenir (la délégation politique. la protection sociale, la justice), implosion des structures périphériques au pouvoir (les partis politiques. les syndicats, les groupes de pressions, .l'information), implosion des zones géographiques surpeuplées (les pays de la faim. les mégalopolis. les banlieues, les getthos de quartier), implosion des propres repères de l'individu (crise de confiance, d'initiative, de choix ontologique.) j'

RETOUR: Retour de l'histoire et de ses affres, retour des nationalismes, du populisme, voire du tribalisme.retour de l'irrationnel et des recettes miracles, retour du religieux. Du miséricordieux, du repentir, retour de l'exclusion au nom de la protection, retour de "la mort des idées" par individualisme et absence d’engagement critique.
.'
CRISE, REPLI, IMPLOSION, RETOUR :
Comme si ces quatre temps semblaient irréversiblement liés les uns aux autres, éléments composites d'un métronome funèbre, rythmant une à une les premières années de ce nouveau millénaire, accompagnant dans un crescendo de désillusions l'agonie des dernières grandes Idées de Progrès, et martelant sur les cymbales des grandes catastrophes, l'incessante question du Devenir, nourrissant au plus profond les vieilles peurs du syndrome millénariste. Comme l'élan circulaire d'une force du mal, dont nous ne savons plus très bien si nous en sommes l'ordonnateur, l'exécutant, le sujet, l'objet ou pire encore l'objet fantasmé.



mardi 25 octobre 2016

Les Perdants Magnifiques

Tout système que vous mettez au point sans nous
sera renversé
Nous vous en prévenons à l'avance
et rien de ce que vous avez construit n'est resté debout
Ecoutez bien alors que vous vous penchez sur vos plans
Ecoutez bien alors que vous retroussez vos manches
Ecoutez bien une nouvelle fois
Tout système que vous mettez au point sans nous
sera renversé
Vous avez vos dogmes
Vous avez vos fusils
Vous avez vos Pyramides vos Pentagones
Avec toute votre herbe et toutes vos balles
vous ne pouvez plus nous chasser
Tout ce que nous révelons de nous
c'est cet avertissement
Rien de ce que vous avez construit n'est resté debout
Tout système que vous mettez au point sans nous
sera renversé


(Leonard Cohen-Poemes non publies - Illustration Sharon Swaine)



vendredi 9 septembre 2016

Il aurait eu 100 ans...

la belle affaire...
Ses textes auront toujours 10 000 ans...

" Avec nos avions qui dament le pion au soleil, avec nos magnétophones qui se souviennent de "ces voix qui se sont tues", avec nos âmes en rade au milieu des rues, nous sommes au bord du vide, ficelés dans nos paquets de viande, à regarder passer les révolutions. Le seul droit qui reste à la poésie est de faire parler les pierres, frémir les drapeaux malades, s'accoupler les pensées secrètes.
Nous vivons une époque épique qui a commencé avec la machine à vapeur et qui se termine par la désintégration de l'atome. L'énergie enfermée dans la formule relativiste nous donnera demain la salle de bains portative et une monnaie à piles qui reléguera l'or dans la mémoire des westerns... La poésie devra-t-elle s'alimenter aux accumulateurs nucléaires et mettre l'âme humaine et son désarroi dans un herbier?
Nous vivons une époque épique et nous n'avons plus rien d'épique. A New York le dentifrice chlorophylle fait un paté de néon dans la forêt des gratte-ciel. On vend la musique comme on vend le savon à barbe. Le progrès, c'est la culture en pilules. Pour que le désespoir même se vende, il ne reste qu'à en trouver la formule. Tout est prêt: les capitaux, la publicité, la clientèle. Qui donc inventera le désespoir?
Dans notre siècle il faut être médiocre, c'est la seule chance qu'on ait de ne point gêner autrui. L'artiste est à descendre, sans délai, comme un oiseau perdu le premier jour de la chasse. Il n'y a plus de chasse gardée, tous les jours sont bons. Aucune complaisance, la société se défend. Il faut s'appeler Claudel ou Jean de Létraz, il faut être incompréhensible ou vulgaire, lyrique ou populaire, il n'y a pas de milieu, il n'y a que des variantes. Dès qu'une idée saine voit le jour, elle est aussitôt happée et mise en compote, et son auteur est traité d'anarchiste..."
(Léo Ferré - Préface)

" Quand j'emprunte des paradoxes, je les rends avec intérêts.
J'enrichis mes prêteurs qui deviennent alors plus intelligents.
Le taux usuraire de l'astuce n'est jamais assez élevé.
Je ne sais pas d'où je viens mais je sais que je suis là, à reverdir, dans cette campagne toscane.
Les rossignols teints au Gargyl chantaient des aubades pharmaceutiques.
J'ai les cheveux trop longs... comme des voiles de thonier, mes beaux cheveux qu'on m'a toujours taillés, mes beaux cheveux longs dans ma tête.
Dans la rue, on se retourne...
Moi, je leur tire la langue ! "
(Léo Ferré - Et...Basta !)


"Des armes , des chouettes, des brillantes
Des qu'il faut nettoyer souvent pour le plaisir
Et qu'il faut caresser comme pour le plaisir
L'autre, celui qui fait rêver les communiantes

Des armes bleues comme la terre
Des qu'il faut se garder au chaud au fond de l'âme
Dans les yeux, dans le coeur, dans les bras d'une femme
Qu'on garde au fond de soi comme on garde un mystère

Des armes au secret des jours
Sous l'herbe, dans le ciel et puis dans l'écriture
Des qui vous font rêver très tard dans les lectures
Et qui mettent la poésie dans les discours

Des armes, des armes, des armes
Et des poètes de service à la gâchette
Pour mettre le feu aux dernières cigarettes
Au bout d'un vers français brillant comme une larme/"
(Léo Ferré -Des armes)

jeudi 11 août 2016

Introduction à une critique de la psychée capitaliste...

" Nous sommes arrivés à un point de l’histoire où, définitivement, il ne peut plus s’agir de changer les modes de distribution et les gestionnaires à l’intérieur d’un mode de vie accepté par tous ses participants. Nous sommes plutôt confrontés à une crise de civilisation, au déclin d’un modèle culturel qui comprend tous ses membres. Cette constatation n’est pas nouvelle, en tant que telle ; elle a été faite notamment entre les deux guerres par des observateurs réputés « bourgeois » ou « conservateurs ». A cette époque-là, la pensée d’émancipation sociale, à quelques exceptions près, partageait la confiance dans le « progrès » et se préoccupait seulement de la distribution inégale de ses fruits. D’ailleurs, la notion de progrès technique, industriel et économique et celle de progrès social et moral se confondaient et semblaient marcher ensemble ; les classes dominantes de l’époque étaient vues comme « conservatrices » par nature et opposées par principe au « progrès », au « changement » et aux « réformes ».

Avec des auteurs comme Walter Benjamin, Theodor W. Adorno et Max Horkheimer s’est réalisée une première convergence entre la critique de la « culture » et celle du « capitalisme ». Mais il fallait attendre les années soixante-dix pour que des critiques de la forme de vie englobant tous les sujets trouvent une diffusion plus large. D’un côté, on voyait la critique de la « technologie » articulée par des auteurs comme Ivan Illich, Günther Anders, Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Paul Henry, Lewis Mumford, Christopher Lasch ou Neil Postman, mais aussi les théories écologiques et la critique du « développement » conçue par le MAUSS, Serge Latouche ou François Partant. Toutefois, lorsqu’il s’agit de discerner les causes des problèmes si bien décrits, ce genre d’analyses se limite souvent à indiquer une espèce d’égarement déplorable de l’humanité. En même temps, les situationnistes, et plus en général la contestation issue de la « critique artiste » (Boltanski-Chiappello) commencée par les dadaïstes et les surréalistes, de même qu’une certaine sociologie critique inaugurée par Henri Lefebvre, ont mis au premier plan de la contestation des aspects plus « subjectifs », c’est-à-dire l’insatisfaction à l’égard de la vie qu’on mène dans la « société d’abondance », même lorsque les besoins premiers sont satisfaits.Mais ils continuaient, plus que le premier genre, à se baser sur une vision dichotomique : « eux » contre « nous », les « patrons du monde » nécrophiles contre « notre » volonté de vivre.

Une nouvelle théorie du fétichisme de la marchandise voudra dépasser les limites de ces critiques. Pour elle, il ne s’agit pas du destin de l’« humanité devant la technique », ni d’une conspiration des puissants méchants contre le bon peuple. Le cœur du problème réside plutôt dans la « forme-sujet » commune à tous ceux qui vivent dans la société marchande, même si cela ne veut pas dire que cette forme soit exactement la même pour tous les sujets. Le sujet est le substrat, l’acteur, le porteur dont le système fétichiste de valorisation de la valeur a besoin pour assurer la production et la consommation. Il n’est pas complètement identique à l’individu ou à l’être humain, lequel peut parfois sentir la forme-sujet comme une camisole de force (par exemple, le rôle du mâle, ou du « gagnant »). C’est pourquoi Marx a appelé le sujet de la valorisation de la valeur le « sujet automate » – ce sujet est le contraire de l’autonomie et de la liberté à laquelle on associe habituellement le concept de « sujet ».
(...)
Les concepts actuellement très en vogue comme celui – bien démocratique – de« multitude » consistent précisément en cet encensement des sujets dans leur existence empirique et immédiate. On s’épargne alors l’effort de rompre soi-même avec sa propre forme-sujet qui n’est pas simplement imposée par l’extérieur, mais qui structure sa propre personnalité dans les profondeurs, par exemple dans la présence presque universelle de l’esprit de concurrence. Malheureusement, l’aggravation générale des conditions de vie dans le capitalisme ne rend pas les sujets plus aptes à les renverser, mais toujours moins, parce que la totalisation de la forme-marchandise engendre de plus en plus des sujets totalement identiques au système qui les contient. Et même lorsque ceux-ci développent une insatisfaction qui va au-delà du fait de se déclarer mal servis, ils sont incapables de trouver en eux-mêmes des ressources pour une vie différente, ou seulement des idées différentes, parce qu’ils n’ont jamais connu rien d’autre. Jaime Semprun avait subtilement renversé dès les années 1990, la désormais trop célèbre vulgate des bien pensants  :

"Au lieu de nous demander, comme font les écologistes : quel monde laisserons-nous à nos enfants ? nous devrions nous demander : à quels enfants laisserons-nous ce monde ? » 

 In "Pour une nouvelle critique sociale", Anselme Jappe - Juin 2015
http://pensee-radicale-en-construction.overblog.com/2014/04/pour-une-nouvelle-critique-sociale-anselm-jappe.html

 

vendredi 29 juillet 2016

Qu'est-ce donc que vivre ?

1/" Il existe présentement un grand nombre de gens qui, sans rien connaître les uns des autres, sont pourtant liés par un destin commun. Echappant à toute profession de foi déterminée, ils se sont conquis leur part des trésors culturels aujourd'hui accessibles à tous et pour le reste vivent consciemment leur époque. Ils passent leurs journée le plus souvent dans la solitude des grandes villes, ces savants, commerçants, médecins, avocats, étudiants et intellectuels de toutes sortes; et, comme ils sont assis dans leur bureau, reçoivent des clients, mènent des négociations, fréquentent les amphithéâtres, ils oublient très fréquemment, dans le vacarme de leurs activités, leur véritable être intérieur et se croient libres de la charge qui secrètement pèse sur eux. "
(S. Kracauer, L'ornement de la masse : Essai sur la modernité weimarienne)

2/ "Après des millénaires de rationalité, la panique s'empare de nouveau de l'humanité, dont la domination acquise sur la nature devenue domination de l'homme excède de loin en horreur ce que les hommes eurent jamais à craindre de la nature."
(Minima Moralia : Réflexions sur la vie mutilée de Theodor W. Adorno)

3/ "Parce que dans une société où toutes les relations humaines sont condamnées à l'abstraction, où il n'existe plus rien de concret, la philosophie, désespérément, s'efforce de pénétrer ce concret, de l'invoquer, sans pourtant nous tromper sur l'absurdité de l'existence mais sans non plus s'y laisser engloutir." (W Benyamin)

 


dimanche 26 juin 2016

Désir - création - participation


"La grande majorité de la population semble se contenter des loisirs et des gadgets offetrs par la société de consommation avec par intermitence quelques réactions ponctuelles et corporatistes, qui ne tirent a pas à conséquence. Elle ne nourrit aucun désir collectif, aucun projet à part la sauvegarde du statu quo"
(Cornélius Castoriadis, Les carrefours du labyrinthe (Tome 1), Paris Seuil 1989)

"Pourquoi ne parlerait-on pas aujourd'hui de ce temps où le peuple se tenait si mal à la table de l'histoire ? En 1793, il avait faim, il prit à manger, il avait froid, il apprit à se chauffer et il inventa, chef d'oeuvre escamoté parce qu'il l'avait rêvé, la constitution du 24 Juin 1793"
(Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Paris, Seuil, 1987)


A propos de de la création et de la richesse :
Autant que les phases de création, les phases de de décomposition d'une société sont inexplicables. A Athènes, au VIè et Vè siècle avant J.C., on a la création de la Démocratie, l'apparition des grands poètes tragiques, et une foule de créations extraordinaire sur le plan de la société civile. Au IVè siècle, c'est déjà fini et il n'y a par exemple plus aucun grand poète. Pourquoi ? Certes la guerre du Péloponnèse et la défaite athénienne jouent certainement un grand rôle.Pourtant Thucydide écrit des pages immortelles sur la corruption généralisée et entre autre celle du langage, dont les mots se mettent à signifier le contraire de ce qu'ils signifiaient au départ, et à être utilisés dans des sens contradictoires en fonction du contexte et de la place de celui ou celle qui les prononcent. Mais la défaite ne suffit pas pour expliquer pourquoi le "Démos", le peuple n'est plus le même. De même que l'enlisement dans ce qu'on appelle la crise, ne suffit comme seule explication. Pourquoi les individus comme les sociétés perdent-ils leur pouvoir de création ? La période contemporaine est particulièrement troublante de ce point de vue : il y a eu tous ces mouvements d'émancipation en deux siècles : le mouvement ouvrier plus ou moins confisqué par le marxisme, puis le marxisme qui s'est lui même scindé en deux courants opposés : le bolchévisme qui a donné le goulag, et la social-démocratie qui s'est prostituée au capital. Le résultat a été que la passion, l'énergie de c eux qui ont cru en ces idées, se sont évanouies au fur et à mesure que leur rêve s'altérait.

A propos de la participation :
La participation est en partie liée à la force de la conviction, à quelque chose qui s'apparente de près à la croyance. C'est aussi une question de volonté. Et les deux sont inséparables dans le domaine politique. L'histoire humaine est toute entière création. L'apparition de nouvelles formes sociales-historiques n'est pas prédictible, car elle n'est ni productible, ni déductible de ce qui la procède. Un "sociologue-éthnologue-psychanalyste" martien qui aurait atterri en en 850 avant J. C. n'aurait certainement pas pu prédire la démocratie athénienne. Ni en 1780 prédire la révolution française. Or dire que ces formes résultent d'une création non déterminée des êtres humains, signifie que leur création apparaît, du point de vue de la logique habituelle, comme un cercle vicieux. Ce n'est pas le paysan vénérant son seigneur qui participe aux mouvements qui précèdent et suivent la nuit du 4 août. En même temps qu'il y a un mouvement collectif, les individus se transforment, et en même temps qu'ils changent, émerge un mouvement collectif. Il n'y a pas de sens à demander lequel précède l'autre : les deux présuppositions dépendent l'une de l'autre et sont crées en même temps. Il est vrai que les gens aujourd'hui ne croient plus à la possibilité d'une action de leur part sur le Politique. Ils ne croient pas parce qu'il ne veulent pas le croire, et ils ne veulent pas le croire parce que ils ne croient pas. Mais si jamais ils se mettent à le VOULOIR, ils CROIRONT et ils POURRONT.

A propos de l'engagement.
Refuser tout fatalisme.Toute vie permet à un moment donné de comprendre que les significations historiques du monde dans le quel nous évoluons, n'ont pas de source "absolue", que leur véritable source est notre propre activité créatrice de sens. Une seule exigence de lucidité : nous sommes mortels! La tâche d'un homme libre est donc de se savoir perdu dans ce monde à priori vide de sens mais de construire avec les autres quelque chose qui ait de la signification. Il n'y a pas de sens immanent dans l'histoire , il n'y aura que le sens (ou le non sens) que nous seons capable de de créer. Les gens qui se faisaient tuer sur une barricade ou dans un mouvement de résistance le savaient : “ c'est le fait que je me bats qui a un sens , non pas le fait que dans deux siècles ou plus il y aura une société parfaite ”.



Chaque fois que le sens d’un débat dépend de la valeur fondamentale du mot utile, c’est à dire chaque fois qu’une question essentielle touchant la vie des sociétés humaines est abordée, quelles que soient les personnes qui interviennent et quelles que soient les opinions représentées, il est possible d’affirmer que le débat est nécessairement faussé et que la question fondamentale est éludée. Il n’existe en effet aucun moyen correct, étant donné l’ensemble plus ou moins divergent des conceptions actuelles, qui permette de définir ce qui est utile aux hommes. Cette lacune est suffisamment marquée par le fait qu’il est constamment nécessaire de recourir de la façon la plus injustifiable à des principes que l’on cherche à situer au-delà de l’utile et du plaisir : l’honneur et le devoir sont hypocritement employés dans des combinaisons d’intérêt pécuniaire et, sans parler de Dieu, l’Esprit sert à masquer le désarroi intellectuel des quelques personnes qui refusent d’accepter un système fermé.”
(Georges Bataille, "La notion de dépense", in La Critique Sociale, Paris, Janvier 1933).



lundi 16 mai 2016

Politique de la Misère - Misère de la Politique

Misère de la politique, misère de l'Etat...
Comment reprendre la main sur cette activité qui fait la noblesse de l'homme ? 
Comment Marx nous invite-t-il à faire descendre la politique dans la société ?

Quand le Service Public honore ses missions
Et ne prend pas ses auditeurs pour "des cerveaux vides donc modelables"

 http://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-lundi-16

 

Point de vue de l’Aranea

    Ils avaient cherché refuge dans ces pierres ancestrales, accumulées les unes sur les autres depuis longtemps, et soudées par la magie d’...