«On
me dira : vous voilà bien, avec toujours la même incapacité à
franchir la ligne, à passer de l’autre côté, à écouter et à
faire entendre le langage qui vient d’ailleurs ou d’en bas.
Toujours le même choix, du côté du pouvoir, de ce qu’il dit ou
fait dire. Pourquoi, ces vies, ne pas aller les écouter là où,
d’elles-mêmes,elles parlent ? Mais d’abord, de ce qu’elles ont
été dans leur violence ou leur malheur singulier, nous resterait-il
quoi que ce soit, si elles n’avaient, à un moment donné, croisé
le pouvoir et provoqué ses forces ? N’est-ce pas, après tout, un
des traits fondamentaux de notre société que le destin y prenne la
forme du rapport au pouvoir, de la lutte avec ou contre lui ? Le
point le plus intense des vies, celui où se concentre leur énergie,
est bien là où elles se heurtent au pouvoir, se débattent avec
lui, tentent d’utiliser ses forces ou d’échapper à ses pièges.
Les paroles brèves et stridentes qui vont et viennent entre le
pouvoir et les existence les plus inessentielles, c’est là sans
doute pour celles-ci le seul monument qu’on leur ait jamais accordé
; c’est ce qui leur donne, pour traverser le temps, le peu d’éclat,
le bref éclair qui les porte jusqu’à nous.»
(
Michel Foucault , «La vie des hommes infâmes»
1ère
éd. 1977 ; repris dans Dits et écrits II, 1976-1988,Paris,
Gallimard, 2001 p. 241)
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