mercredi 17 février 2016

Ce que parler veut dire-2


«On me dira : vous voilà bien, avec toujours la même incapacité à franchir la ligne, à passer de l’autre côté, à écouter et à faire entendre le langage qui vient d’ailleurs ou d’en bas. Toujours le même choix, du côté du pouvoir, de ce qu’il dit ou fait dire. Pourquoi, ces vies, ne pas aller les écouter là où, d’elles-mêmes,elles parlent ? Mais d’abord, de ce qu’elles ont été dans leur violence ou leur malheur singulier, nous resterait-il quoi que ce soit, si elles n’avaient, à un moment donné, croisé le pouvoir et provoqué ses forces ? N’est-ce pas, après tout, un des traits fondamentaux de notre société que le destin y prenne la forme du rapport au pouvoir, de la lutte avec ou contre lui ? Le point le plus intense des vies, celui où se concentre leur énergie, est bien là où elles se heurtent au pouvoir, se débattent avec lui, tentent d’utiliser ses forces ou d’échapper à ses pièges. Les paroles brèves et stridentes qui vont et viennent entre le pouvoir et les existence les plus inessentielles, c’est là sans doute pour celles-ci le seul monument qu’on leur ait jamais accordé ; c’est ce qui leur donne, pour traverser le temps, le peu d’éclat, le bref éclair qui les porte jusqu’à nous.» 


( Michel Foucault , «La vie des hommes infâmes» 
1ère éd. 1977 ; repris dans Dits et écrits II, 1976-1988,Paris, Gallimard, 2001 p. 241)


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